[Critique] La Fabrique des corps, Des premières prothèses à l’humain augmenté

Caractéristiques

  • Titre : La Fabrique des corps
  • Auteur : Héloïse Chochois
  • Editeur : Delcourt
  • Collection : Octopus
  • Date de sortie en librairies : 2017
  • Nombre de pages : 158
  • Prix : 18,95 €
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  • Note : 7/10

Comment les corps sont-ils réparés ? Où situer la limite entre la réparation des corps et l’augmentation des capacités physiques ? La bande-dessinée documentaire d’Héloïse Chochois La fabrique des corps (éditions Delcourt) tente de répondre à ces question au travers du cheminement de son personnage principal, amputé du bras à la suite d’un accident de moto. C’est en compagnie du célèbre chirurgien du XVIe siècle Ambroise Paré qu’il découvrira les techniques d’amputation, leurs origines et l’histoire de la création de prothèses, avant d’entrevoir les possibilités de la science future.

Comment raconter en BD une histoire de l’amputation et des prothèses ?

L’auteur de La fabrique des corps est une dessinatrice formée à l’école Estienne passionnée par les sciences, auxquelles elle a consacré de nombreuses illustrations ainsi qu’un blog racontant ses premiers contacts avec la communauté scientifique, Infiltrée chez les physiciens. Héloïse Chochois aborde dans son premier album un autre domaine scientifique qui met en jeu des connaissances anatomiques, médicales, neuroscientifiques, mécaniques, électroniques, informatiques, bref, quand on se lance dans un projet tel que La fabrique des corps, il vaut mieux ne pas avoir peur de l’overdose de savoirs et avoir de bonnes idées narratives et graphiques pour les distiller.

Or, Héloïse Chochois ne manque pas de rigueur, semble-t-il, ni d’inventivité, utilisant une gamme de procédés très large afin de ne pas heurter la sensibilité du lecteur (grâce à un dessin suffisamment simplifié), clarifier le déroulé de son exposé (avec des mises en pages variées) et mettre l’humain au cœur de son sujet (par l’expressionnisme de certaines séquences évoquant la douleur, l’utilisation d’Ambroise Paré et l’humour). Bien que nous regrettons un manque d’utilisation de l’ellipse (le temps entre les cases sans lequel il n’y a pas de BD) et un dessin manquant un peu de vie, La fabrique des corps possède indubitablement de belles pages, particulièrement lorsque Héloïse Chochois représente des processus chirurgicaux et tente de traduire en dessin les angoisses de son personnage.

Disons-le tel quel : Héloïse Chochois semble suffisamment à l’aise dans son vaste champs de recherches pour parvenir à proposer au lecteur une synthèse dense mais à la lecture fluide. De ce point de vue, son ouvrage est une réussite. Bien sûr, il faut pour l’apprécier s’interroger sur les techniques d’amputations, les prothèses et leur évolution (ce qui n’est pas du goût de tout un chacun) ; saluons ici la collection Octopus des éditions Delcourt, dirigée par le dessinateur Boulet, qui a permis à ce livre de voir le jour.

Du récit d’un amputé à l’Histoire des sciences et techniques

Après un prologue figurant l’accident de moto du personnage principal, le premier chapitre de La fabrique des corps retrace ensuite le déroulement de l’amputation de son bras après une introduction aux différentes techniques passées. C’est Ambroise Paré, surgissant d’une affiche pour accompagner le personnage, qui le guide de l’Antiquité jusqu’à la salle d’opération dont il ne conserve aucun souvenir. Dès ces premières pages, l’auteur tente de figurer l’état d’esprit et la souffrance de l’amputé à son réveil, usant pour cela de larges traits expressionnistes, avant de poursuivre le récit avec des planches documentaires très bien construites basculant d’un temps à un autre.

Dans le second chapitre, Héloïse Chochois évoque les causes du phénomène du membre fantôme, exposant pour cela les relations (simplifié) entre le cerveau et les membres via les réseaux nerveux. Ce chapitre de La fabrique des corps lui permet d’inclure plusieurs notions importantes concernant la formation des sensations au sein du cerveau, capitales pour qui entend redonner à un amputé non seulement la fonctionnalité d’un membre mais aussi ses sensations. Les prothèses constituent donc le sujet du troisième chapitre, qui offre une typologie des prothèses possibles et retrace leur moment d’invention et de développement. Ce chapitre ouvre la voie aux interrogations de la dernière partie de La fabrique des corps, qui a trait au transhumanisme.

L’être humain amputé à l’ère du transhumanisme

C’est dans ce quatrième et dernier chapitre que la bande-dessinée d’Héloïse Chochois atteint sa limite. Aborder le transhumanisme au terme de cet ouvrage semble au mieux une ouverture vers de nouvelles réflexions, grâce aux très nombreuses questions posées par le personnage et son guide Ambroise Paré. C’était sans doute le but de l’auteure, mais il est regrettable que son évocation du transhumanisme dérive trop rapidement loin de son sujet d’origine, alors que tous les éléments étaient en place dans La fabrique des corps pour développer sur quelques pages les prothèses de l’avenir, avec cette question en tête : où se situe la limite entre la réparation des corps et leur augmentation ?

A partir de quelques exemples concrets (et non de réflexions larges développées dans d’autres ouvrages), Héloïse Chochois aurait pu produire la réflexion voulue sans sortir de son champ de recherches passionnant. Ainsi, lorsqu’il sera possible d’offrir à chacun la possibilité d’avoir un bras artificiel aux capacités (sensations, force, fonctions) augmentées par rapport au bras humain naturel, la société viendra-t-elle à accepter l’idée d’une amputation d’un membre naturel sain ? Telle est notre questionnement à l’issue la lecture de La fabrique des corps, Des premières prothèses à l’humain augmenté d’Héloïse Chochois, que nous vous conseillons vivement.

Article écrit par

Jérémy Zucchi est auteur et réalisateur. Il publie des articles et essais (voir sur son site web), sur le cinéma et les arts visuels. Il s'intéresse aux représentations, ainsi qu'à la science-fiction, en particulier aux œuvres de Philip K. Dick et à leur influence au cinéma. Il a participé à des tables rondes à Rennes et Caen, à une journée d’étude sur le son à l’ENS Louis Lumière (Paris), à un séminaire Addiction et créativité à l’hôpital Tarnier (Paris) et fait des conférences (théâtre de Vénissieux). Il a contribué à Psychiatrie et Neurosciences (revue) et à Décentrement et images de la culture (dir. Sylvie Camet, L’Harmattan). Contact : jeremy.zucchi [@] culturellementvotre.fr

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