Caractéristiques
- Auteur : Dominique Maisons
- Editeur : Editions de la Martinière
- Date de sortie en librairies : 27 août 2020
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 528
- Prix : 21,90€
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- Note : 10/10 par 1 critique
La Guerre Froide à Hollywood vue à travers le prisme du roman noir
1953 à Hollywood. En pleine Guerre Froide, alors que les commissions de censure font rage au sein des studios et que le maccarthysme bat son plein, l’armée confie à deux agents secrets la mission d’engager un producteur indépendant et de le propulser au sein des studios avec une valise de deux millions de dollars fournie par la mafia pour tourner un film de genre qui servira de véhicule de propagande pour promouvoir l’armée et les valeurs patriotiques anti-communistes. Leur choix se porte sur Larkin Moffat, un producteur de séries B sans scrupules qui cherche à transformer sa jeune maîtresse qu’il maltraite, Didi, en tête d’affiche. Mais, bien évidemment, rien ne va se passer comme prévu car Moffat est aussi imprévisible que pervers et chaque personnage a ses secrets et ses démons. Cette mission à priori sans grand danger provoquera une réaction en chaîne inattendue mêlant l’armée, la mafia, des réalisateurs de films clandestins, de jeunes acteurs et actrices exploitées et jusqu’à la star des années 30-40 Hedy Lamarr…
Après l’excellent et déjanté Tout le monde aime Bruce Willis, c’est un roman d’un noir d’encre à la Ellroy que nous propose Dominique Maisons avec Avant les diamants, paru aux Editions de la Martinière au moment de la rentrée littéraire. Un véritable coup de maître tant ce 6ème roman est prenant, palpitant et dans le même temps ultra-documenté sur le Hollywood des années 50, marqué par la Guerre Froide et le maccarthysme, dont il dresse un portrait réaliste et pertinent. La bibliographie présente en annexe atteste d’ailleurs du gros travail de documentation réalisé par l’auteur pour retranscrire avec finesse le contexte de l’époque à Tinsel Town.
On y retrouve sans surprise Hollywood Babylone, l’essai choc de Kenneth Anger sur les dessous de l’industrie hollywoodienne à cette époque, mais aussi des livres sur les rapports entre la mafia et les studios, sur la propagande et l’idéologie à travers les films, ainsi que de nombreuses biographies et autobiographies des stars de l’époque : James Dean, Hedy Lamarr et Errol Flynn (ces deux derniers étant également des protagonistes du roman)… De quoi trouver l’inspiration pour de prochaines lectures si l’on souhaite creuser le sujet !
Un roman palpitant à la mécanique implacable
Pour autant, Avant les diamants n’est pas de ces romans quasi-documentaires (et parfois un peu didactiques) qui font preuve d’un tel respect envers leur sujet qu’ils se permettent peu de fantaisie. Dominique Maisons ne boude ainsi pas son plaisir d’écrivain à plonger ses personnages, fictifs ou célèbres, dans des situations résolument romanesques. Un plaisir véritablement communicatif, qui pousse le lecteur à ne pas lâcher le livre jusqu’à sa conclusion aussi dingue qu’implacable.
Tout le monde aime Bruce Willis avait prouvé que l’auteur savait faire preuve d’une folie assez jubilatoire, mais celle-ci apparaît ici plus cadrée. L’écrivain français respecte le roman noir, son essence comme ses rouages ; sa maîtrise témoigne d’ailleurs d’une compréhension intime du genre et d’un amour assez évident pour l’œuvre de James Ellroy entre autres – influence qui saute d’autant plus facilement aux yeux que le récit se déroule à Los Angeles.
Cependant – et c’est aussi ce qui fait la différence avec beaucoup d’autres essais du genre – l’auteur ne se laisse pas intimider par les classiques des auteurs de renom qu’il affectionne, ce qui lui donne une certaine liberté et lui évite de tomber dans les travers du simple pastiche. Il y a une véritable mécanique à l’œuvre dans Avant les diamants, de celle qui précipitent les héros des tragédies grecques vers un sort funeste, mais déroulée avec un sens de l’ironie et du cynisme propre au genre noir… Ce qui n’empêche pas pour autant l’auteur de faire preuve de tendresse pour certains de ses personnages.
Tous les ingrédients sont au rendez-vous : des stars puissantes et libres, des producteurs véreux au comportement de prédateurs, des mafieux cherchant à asseoir leur pouvoir, de jeunes gens en quête de gloire et d’une échappatoire au puritanisme asphyxiant de l’époque, des agents secrets de l’armée (un homme et une femme) entre lesquels couve une grosse tension sexuelle, une valise abritant un beau pactole… Chaque trame narrative représente la pièce d’un puzzle qui s’assemblera avec précision dans un final lancé à toute vitesse pour une collision frontale dont ne ressortira au final aucun vrai gagnant.
De l’autre côté du miroir : une critique acerbe des studios de « l’âge d’or » hollywoodien
Si la dimension glamour et le prestige d’Hollywood sont présents en filigrane – à travers les personnages de stars, mais surtout les rêves des deux starlettes amoureuses, Liz et Didi – le sentiment de violence infligée par le système et de gâchis dominent. C’est la fin d’une époque, mais l' »Age d’Or » hollywoodien a-t-il jamais existé ? Hedy Lamarr, Errol Flynn et Clark Gable ont beau être présentés comme des icônes éternelles et des personnalités bigger than life pour lesquelles l’auteur semble éprouver fascination et sympathie, à quel prix ont-elles atteint ce statut ?
Lamarr (devenue célèbre en 1933 pour avoir tourné la première scène d’orgasme féminin dans le film Extase) a tourné avec les plus grands et est même à l’origine d’un système de télécommunications utilisé encore aujourd’hui par l’armée mais aussi les technologies mobiles et Wi-Fi. Pourtant, l’industrie l’a boudée dès qu’elle a affiché ses premières rides, la condamnant à l’oubli. Dans Avant les diamants, elle apparaît aussi comme une star qui a dû, à ses débuts, se plier au désir de producteurs de films pornos pour survivre.
Peu appréciée sur les plateaux de tournage – elle avait la réputation de masquer son insécurité quant à son apparence par une attitude de diva – elle apparaît sous la plume de Dominique Maisons, comme une femme libre d’une intelligence remarquable, mais triste et fatiguée alors qu’elle constate en même temps que son ami Errol que son règne est terminé et que l’industrie continue de se repaître des rêves de jeunes aspirant(e)s à la gloire qu’elle utilisera avant de recracher impitoyablement. D’où sa volonté de faire office de marraine protégeant Liz et Didi, superbes jeunes femmes amoureuses l’une de l’autre, mais exploitées par des hommes de pouvoir sans scrupules.
Dans la seconde partie du livre, Dominique Maisons fait référence en creux au mouvement #MeToo lorsque ses personnages féminins se retrouvent autour d’Hedy Lamarr pour partager leurs horror stories véridiques et que l’une d’elles prédit que viendra un temps où ces riches et puissants magnats hollywoodiens devront payer pour leur comportement. Une belle manière de contrer les moqueries et accusations de vénalité dont ont fait l’objet de nombreuses stars féminines agressées par Weinstein en 2017 – sans parler de celles qui n’ont rien dit après avoir travaillé avec lui.
Le traitement de cette facette de l’industrie est d’autant plus convaincante qu’aucun personnage dans Avant les diamants (exception faite du détestable Larkin Moffat), qu’il soit féminin, homosexuel ou hétéro, n’est présenté comme simplement bon ou mauvais. Il n’y a ni putes ni saintes parmi les personnages féminins. Quant à Jacinto, le jeune acteur latino ami de Didi et Liz, s’il utilise le curé qui a ses entrées à la commission de censure des studios pour avancer sa carrière, il est tout autant utilisé par ce dernier, qui cherche à tromper sa solitude et son mal-être en gardant sous sa coupe ce jeune homme dont il cherche la reconnaissance à défaut de pouvoir en être aimé. Chaque protagoniste est complexe et évite ainsi les écueils des clichés faciles, parfois utilisés pour appuyer le propos d’une œuvre.
Difficile de tout commenter tant la matière d’Avant les diamants est dense. Nous concluerons surtout en disant que la richesse des personnages principaux et du contexte de l’époque permet à Dominique Maisons de bâtir un récit mené de main de maître au sein duquel il va complètement nous happer.
Un récit qui sait prendre son temps pour développer certaines facettes des personnages et de l’Usine à Rêves lorsque cela est nécessaire, mais dont la construction aussi rigoureuse qu’intelligente nous tient en haleine avant d’accélérer lors d’un final aussi captivant que crépusculaire. Dominique Maisons tend à Hollywood un miroir où se reflète la vanité de l’industrie dans ce qu’elle a de plus cruel, mais dans lequel l’aura des stars, des cinéastes de génie et les rêves des âmes égarées de la Cité des Anges continuent de briller à la manière d’un diamant noir.