Caractéristiques
- Auteur : TAKAHIRO, Yôhei Takemura
- Editeur : Kurokawa
- Date de sortie en librairies : 11 février 2021
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 208
- Prix : 6,90€
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Demon Slave réserve beaucoup de bonnes surprises
Décidément, le scénariste TAKAHIRO, l’un des auteurs japonais les plus surveillés dans le domaine du manga, est du genre stakhanoviste. Après le joli succès de Red Eyes Sword au début des années 2010, et alors que sa suite Blue Eyes Sword est toujours en cours de publication, le voilà qui lance une nouvelle série : Demon Slave. Propulsé en France grâce aux bons soins de Kurokawa (Spy x Family, Goblin Slayer), cette nouvelle œuvre a tout pour attirer l’attention, d’ailleurs la communication autour de cette sortie ne s’y trompe pas et met en avant une sorte de parallèle avec des sujets sociétaux assez occidentaux. Un peu effrayé par cette référence, votre humble serviteur s’est lancé dans la lecture de ce premier tome, et en sort carrément ravi !
Avant d’aller plus loin, il faut de suite préciser que, malgré l’accroche, on fait bien face à un shônen. L’offre manga a cela de très pertinent qu’il compartimente, ainsi tous les publics peuvent s’y retrouver sans imposer une vision aussi uniforme que déprimante. Un modèle d’un pacifisme indéniable. Et ce n’est pas avec Demon Slave que ça va changer, on peut se rassurer. Mais attention, cela ne signifie pas que le scénariste TAKAHIRO, et le dessinateur Yôhei Takemura, ne se sont pas foulés pour proposer un univers qui peut tout de même remuer dans les brancards, et même titiller quelques idées reçues. L’histoire allie certes le fun, l’énergie, mais ne s’interdit pas une vision du monde plus équilibrée qu’il n’y paraît.
Le récit de Demon Slave prend place en 2020, alors que la Terre a vu surgir Mato, une cité démoniaque, de laquelle s’échappe des « yomotsu shuki », des démons infernaux surpuissants qui auraient pu constituer une menace ingérable. Seulement voilà, au sein de Mato existe un fruit, une pêche pour le moins survitaminée puisqu’elle accorde des supers-pouvoirs… mais uniquement aux femmes, lesquelles deviennent de facto des membres d’escadrons antidémons. Dès lors, vous voyez le tableau : il n’est plus question d’égalité hommes-femmes, et l’équilibre penche désormais totalement du côté de ces dernières. TAKAHIRO joue avec cet élément, et plus habilement que redouté : on voit d’ailleurs que la domination ne mène qu’au déplacement de l’injustice d’un sexe à l’autre. Des wagons réservés aux femmes, quasiment vides, d’autres uniquement pour hommes, mais bondés. Bref, ce déséquilibre n’a aucunement réglé le problème, il a juste permis aux puissants, ici les femmes, de vivre plus sainement que les moins puissants. CQFD, et c’est intelligent.
Un fond maitrisé, et du gros fun
Rentre ensuite en scène l’un des personnages centraux de Demon Slave : Yûki Wakura. Sa caractérisation est, dans ses prémices, très classique : étudiant, en recherche d’une relation mais freiné par un manque de confiance en soi ici complété par sa naturelle infériorité masculine. On sent bien que le but, sur ce dernier point, est d’aborder une forme de patriarcat, sans trop de ce ton moralisateur qui peut parfois rebuter dans l’actuelle culture occidentale. C’est fait sans trop de hargne, donc le message passe bien. Toujours est-il que ce jeune homme va se retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment, avant d’être sauvé par Kyôka Uzen, une combattante aussi redoutable que séduisante. Seulement, son pouvoir n’en jette pas autant que chez les autres filles, lesquelles peuvent maitriser leur taille, transformer leurs membres en arme à l’image d’un T-1000 (on a d’ailleurs une belle référence à Terminator 2), etc. Non, elle, son truc c’est de pouvoir réduire en esclavage un être, humain ou autre, lequel atteint alors une puissance phénoménale.
Alors que l’on navigue entre un intérêt continu dû à l’énergie du récit (vraiment, ça ne cesse de trouver des rebonds surprenants) et à l’attention porté au fond de l’histoire, Demon Slave distille tout à coup ce petit bonus clairement destiné au lecteur de shonen. Et là, cette nouvelle série gagne tout notre respect, définitivement. En effet, le pacte passé entre Yûki et Kyôka implique une récompense en fin de combat, que la guerrière ne maitrise pas : elle est lié au désir de l’esclave et à l’envergure de la bataille. Voilà un moyen cocasse, drôle et grivois, de non seulement rassasier le lecteur masculin qui a bien le droit de se rincer l’oeil avec des cases très légères, mais aussi de rappeler que le jeune homme est un pervers. Un pervers n’est jamais positif, c’est toujours bon de le rappeler, donc la catharsis lors de cette lecture est parfaite : on nous pose les limites du concept. De plus, on peut y voir un constat équilibré : tout le monde est réduit à devoir répondre à des ordres, ou des prérogatives, dans la vie. Tout le monde.
Le fond de Demon Slave est donc bien plus maitrisé qu’il n’y paraît, du moins pour ce premier tome. Mais sachez aussi qu’au-delà de cet élément, le manga reste avant tout un shônen énergique et très divertissant. L’univers, pour le moment mystérieux sur pas mal de points, fait naitre un certain suspens. Les séquences de baston restent peut-être encore un peu courtes, mais nul doute que TAKAHIRO joue aussi sur une certaine montée en puissance, notamment en introduisant un gros vilain cornu pour le moment plongé dans l’ombre. Et l’on insiste sur ce point : l’humour fonctionne bien, car les archétypes bien définis ont des interactions qui ne peuvent qu’aller au conflit. Tout cela bien accompagné du dessin de Yôhei Takemura, remarquablement fin et très soigné dans le design des personnages féminin. Du très bon travail, aussi du côté de l’édition Kurokawa, laquelle se termine par d’intéressantes notes de production signées TAKAHIRO.