[Expo] L’Afrique retrouve ses couleurs au Musée des Confluences

Affiche de l'exposition "Une Afrique en couleurs" du Musée des Confluences de Lyon.
Affiche de l’exposition Une Afrique en couleurs du Musée des Confluences de Lyon.

Dévoilée le 16 octobre 2020 pour deux petites semaines, c’est seulement ce mercredi 19 mai 2021 que nous avons pu découvrir l’exposition temporaire que le Musée des Confluences de Lyon a consacré à l’usage de la couleur en Afrique. Bonne idée, car la couleur est omniprésente dans les cultures africaines : “Des masques et des statuettes peints de couleurs vives aux textiles multicolores qui inspirent les grands couturiers, la gamme colorée des corps, des vêtements, de la rue ou du surnaturel se décline à l’infini, au sein d’arts africains quotidiens et populaires”, comme l’annonce le musée. Produite par les équipes du Musée des Confluences, l’exposition Une Afrique en couleurs évoque l’usage des couleurs dans la sculpture de statues ou la conception de masques ou marionnettes, mais aussi la décoration murale et les vêtements. Le tissu wax a ainsi la place d’honneur aux côtés des statuettes et ornements rituels.

Redonner aux sculptures couleurs et fonctions

Comme l’annonce le musée, il s’agit de proposer une “une immersion dans une Afrique où la couleur est reine”, loin “des clichés noir et blanc qui ont popularisé sa beauté”. Et pour cause, les amateurs de sculptures africaines (statuettes, masques ou marionnettes) les ont longtemps appréciées pour leurs propriétés sculpturales exclusivement, en ignorant les jeux de couleurs qui contribuaient à leur signification par des peintures, tissus ou éléments décoratifs.

Pablo Picasso dans son studio de Montmartre au milieu de sa collection d'art africain, 1908.
Pablo Picasso dans son studio de Montmartre au milieu de sa collection d’art africain, 1908 (source).

Rapportées par les explorateurs européens, spoliées par les colons, exhibées aux expositions coloniales ou dans les musées ethnographiques, les sculptures admirées par Pablo Picasso ou André Breton étaient nettoyées de leurs couleurs et dépouillées de leurs ornements ou tissus. Le regard européen admirait ou méprisait les sculptures africaines selon sa propre conception de l’art : polychromie et mélange des matériaux étant jugés comme indignes du statut d’œuvre d’art, il fallait “purifier” les sculptures pour les apprécier, les réduire à des volumes. Une idée combattue par Picasso dès sa Nature morte à la chaise cannée (1912) sur laquelle il avait collé une toile cirée au motif de rotin, et surtout dans ses sculptures (en particulier sa chèvre de 1950). Jamais, peut-être, Picasso n’avait alors été plus proche de l’art africain.

L’exposition Une Afrique en couleurs montre à quel point les sculptures africaines importées en Europe s’inscrivaient chacune à l’origine dans un ensemble symbolique et rituel spécifique au sein duquel le sens était notamment porté par les couleurs (le rouge renvoyant notamment à la vitalité, au feu, la fécondation) et les matières (le brillant n’a pas la même fonction que le mat).

Statuette africaine colorée au bleu de lessive, exposée dans "Une Afrique en couleurs" du Musée des Confluences de Lyon.
Statuette africaine colorée au bleu de lessive, exposée dans Une Afrique en couleurs. © Musée des Confluences

Comment obtenir les bonnes couleurs et matières?

Pour parvenir à donner à leurs créations les couleurs et les aspects désirés, les artisans ou artistes ont d’abord eu recours à des matières d’abord locales puis, de plus en plus, importées. Les matières ont été choisies en fonction de la couleur, de l’aspect mat ou brillant, mais aussi en fonction de leur valeur symbolique.

Vitrine présentant des pigments et matériaux utilisés dans l'art africain, dans "Une Afrique en couleurs" du Musée des Confluences de Lyon.
Vitrine présentant des pigments et matériaux utilisés dans l’art africain, dans Une Afrique en couleurs. © Culturellement Vôtre

Les perles de verres importées d’Europe ont semble-t-il été intégrées aux créations dès les premiers échanges, puis produites localement. Avant le remplacement des pigments naturels par des peintures industrielles au cours du XXe siècle, le bleu de lessive importé d’Europe a été utilisé à partir de la seconde moitié du XIXe siècle pour apporter aux figures, notamment, une dimension symbolique supplémentaire (le bleu étant souvent associé au surnaturel).

Couleur n’est pas forcément peinture ou pigment, c’est pourquoi l’exposition met en évidence les multiples moyens d’obtenir la teinte désirée avec les matériaux les plus divers. Une Afrique en couleurs montre ainsi de beaux exemples d’ornements réalisés avec des métaux de récupération (sublimes pendentifs touaregs). 

Tout est bon pour obtenir la bonne teinte, la bonne texture, l’aspect choisi : cette exposition est ainsi un hommage à l’inventivité des créateurs et créatrices inconnu-e-s, dont l’héritage existe toujours. Alors certes, on peut reprocher certains raccourcis, mais les relations mises en scènes sont stimulantes et, comme toujours au Musée des Confluences, présentées d’une manière spectaculaire dans un écrin noir semblable à une scène de théâtre.

Des arts multiples, perméables et évolutifs

Dans Une Afrique en couleurs, le Musée des Confluences tente de donner à revoir cet art africain délocalisé, extrait de son contexte culturel et aménagé selon les critères européens. Cette exposition s’inscrit ainsi dans un mouvement plus global de retour critique sur les représentations de l’art africain en Europe, où ses détracteurs et amateurs l’ont trop longtemps considéré comme un ensemble informe (le terme d’art africain étant très vague) et intemporel, sinon sans Histoire… Souvenons-nous à ce propos des mots de Nicolas Sarkozy selon lequel l’homme Africain “n’est pas assez entré dans l’Histoire” (discours du 26 juillet 2007, à Dakar). Or, l’Afrique est riche d’Histoire au contraire, remplies de cultures diverses bien que liées par des langues, des idées et des formes qui peuvent être communes, et ce sont quelques unes de ces cultures et leurs évolutions que l’exposition du Musée des Confluences permet d’aborder par le biais des couleurs.

Pour cela, l’exposition joue avec les images que le visiteur européen a de l’Afrique. Cette image de l’homme Africain ou de la femme Africaine est intimement liée au wax, ce tissu manufacturé au Pays-Bas qui a été importé en Afrique subsaharienne par les fameuses Mama Benz (nommées ainsi car premières femmes possédant une Mercedes Benz). Ce tissu d’importation est devenu en quelques décennies un emblème, que les jeunes générations préfèrent porter par touches (en jupes, foulards, turbans…) plutôt qu’en ensemble complet. Etant moi-même vêtu d’une manière très classique, il m’est apparu étonnant de ne pas oser me vêtir de couleurs vives et de tissus à motifs : pourquoi pas? Certes, je ne me suis pas rué dans une boutique de la Guillotière pour m’acheter un ensemble en wax, mais je me suis interrogé sur mon propre rapport aux couleurs et à ce que je considère être “de bon goût” ou “portable”. C’était, je pense, l’un des buts de cette exposition.

Une robe en wax exposée dans "Une Afrique en couleurs" du Musée des Confluences de Lyon.
Une robe en wax exposée dans Une Afrique en couleurs du Musée des Confluences de Lyon. © Culturellement Vôtre

Les goûts et les couleurs, en Afrique et Europe

C’est une relation aux couleurs non soumises aux conceptions européennes que propose l’exposition Une Afrique en couleurs aux visiteurs européens, qui tendent trop souvent à oublier que leur conception symbolique des couleurs n’est pas universelle, à l’instar de la notion même d’œuvre d’art ou de bon goût. C’est pour affirmer ne plus être soumis aux anciens colonisateurs que nombre d’Etats africains ont ainsi repris les couleurs de l’Ethiopie (jaune, rouge et vert), qui avait incarné la liberté au temps des colonisations. Quant à la S.A.P.E. congolaise (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes), elle incarne un rapport au goût délivré des jugements occidentaux, qui dénoncent le plus souvent comme de mauvais goût (au mieux, kitsch) l’explosion de couleurs vives et les compositions vestimentaires visant à se faire remarquer.

Citation affichée dans "Une Afrique en couleurs" du Musée des Confluences de Lyon.
Citation affichée dans Une Afrique en couleurs du Musée des Confluences. © Culturellement Vôtre

Il y aurait encore bien à dire à propos de cette exposition assez modeste en surface mais ambitieuse, notamment en ce qui concerne le rapport à la figuration (ce qui nous ramène, de nouveau, à Picasso). Les textes insistent ainsi sur l’absence de volonté de représentation fidèle de la réalité avant que l’art africain ne subisse l’influence européenne ou indienne : les couleurs de peau des êtres sculptés sont ainsi utilisées dans un but symbolique (le bleu ou le blanc pour des êtres surnaturels) et non mimétique. Puis, sous influence européenne mais aussi indienne, les créations tendent vers un plus grand réalisme : victoire de l’Occident? L’artiste africain était-il alors, “entré dans l’Histoire” parce qu’il tentait de représenter avec fidélité le réel? Une telle question n’a de sens que pour les partisans d’une supériorité d’un peuple, d’une civilisation, et de l’infériorité des autres. En plus d’être belle, l’exposition Une Afrique en couleurs apporte des éléments utiles pour démonter la thèse de l’ancien Président de la République Française et rejeter tout ethnocentrisme.

Retrouvez toutes les informations sur l’exposition Une Afrique en couleurs sur le site du Musée des Confluences

Article écrit par

Jérémy Zucchi est auteur et réalisateur. Il publie des articles et essais (voir sur son site web), sur le cinéma et les arts visuels. Il s'intéresse aux représentations, ainsi qu'à la science-fiction, en particulier aux œuvres de Philip K. Dick et à leur influence au cinéma. Il a participé à des tables rondes à Rennes et Caen, à une journée d’étude sur le son à l’ENS Louis Lumière (Paris), à un séminaire Addiction et créativité à l’hôpital Tarnier (Paris) et fait des conférences (théâtre de Vénissieux). Il a contribué à Psychiatrie et Neurosciences (revue) et à Décentrement et images de la culture (dir. Sylvie Camet, L’Harmattan). Contact : jeremy.zucchi [@] culturellementvotre.fr

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