Caractéristiques
- Auteur : Guillaume Bianco (texte) et Jérémie Almanza (dessin et couleur)
- Editeur : Soleil
- Collection : Métamorphose
- Date de sortie en librairies : 13 octobre 2021
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 232
- Prix : 34,95 euros
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- Note : 9/10 par 1 critique
Un conte pour adultes par le créateur de Billy Brouillard
Douze ans après le début de sa parution initiale, les éditions Soleil publient au sein de leur collection Métamorphose cette très belle intégrale de l’œuvre en trois parties de Guillaume Bianco et Jérémie Almanza, Eco.
Inspirée par les contes originaux des frères Grimm ou encore d’Andersen, qui mêlaient merveilleux et terreur avec des éléments souvent sombres et macabres, Eco se présente comme un beau livre illustré pour adultes – également accessible aux adolescents.
Dans un univers intemporel, Eco est la fille d’un riche couple de célèbres couturiers, dont la renommée est telle que même le premier ministre leur commande un coffret de petites poupées pour l’anniversaire de leur enfant. Ils envoient Eco leur apporter le précieux objet mais, en chemin, elle croise une vieille mendiante et un petit garçon et elle offre le coffret, ce qui provoque la ruine de ses parents.
Un malheur n’arrivant jamais seul, elle constate bientôt qu’elle subit d’étranges transformations, qu’elle attribue à une malédiction jetée contre elle par sa mère : ses seins gonflent, ses hanches et ses fesses grossissent et elle se met à saigner… Accompagnée de petites poupées magiques dotées de vie grâce aux humbles cadeaux de remerciement de la mendiante, elle part en quête pour faire cesser cet étrange mal.
Un récit initiatique surréaliste entre terreur et émerveillement
Pour ceux qui connaissent la série de BD Billy Brouillard de Guillaume Bianco, sachez qu’Eco est résolument différent. Beaucoup moins enfantin que les aventures du célèbre détective surnaturel, Eco est bien plus étrange et plus sombre, avec nombre de passages surréalistes et de passages oniriques crus et cruels. L’histoire se présente ouvertement comme un récit initiatique où l’héroïne passera de l’enfance à l’adolescence, puis de l’âge adulte à la vieillesse, l’intrigue se clôturant même sur un assez génial ruban de Möbius qui donne à l’ensemble beaucoup de cohérence, mais aussi une vraie force.
Guillaume Bianco explore la relation parents-enfant et les peurs de ces derniers à cet égard, qui ont été beaucoup utilisées par les contes : peur d’être abandonné, rejeté, englouti, de décevoir ses parents… Lorsque l’héroïne atteint la puberté, les transformations de son corps sont montrées comme un véritable film d’horreur, une malédiction qui lui donne une image monstrueuse et déformée d’elle-même. Par la suite, sa rencontre avec son premier amoureux donne lieu à des passages entre effroi et vertiges de l’amour, tendresse et peur de devenir un oiseau en cage…
Un récit sublimé par les illustrations de Jérémie Almanza
Cette dimension métaphorique fonctionne parfaitement car les illustrations de Jérémie Almanza (en couleurs, souvent en pleine page, voire en double page ), sublimes et évocatrices, donnent véritablement corps à cet univers bizarre et inquiétant, qui pourrait avoir l’air d’un no man’s land sans queue ni tête de prime abord.
Ses images, faussement naïves et aux couleurs douces et chaleureuses sont assez hypnotiques et aspirent le lecteur très vite dans l’univers d’Eco. Les influences sont aussi nombreuses que celles de Guillaume Bianco : il y a du Alice au pays des Merveilles, une pointe de Ghibli aussi dans l’apparence de la vieille dame, mais l’artiste possède définitivement sa propre identité et une patte bien à lui. Il déploie à travers les 3 parties de l’histoire une palette impressionnante, dont les nuances (et les très belles couleurs) sont très bien rendues par la qualité de l’impression du livre et la mise en page.
Des personnages aux décors, on plonge la tête la première dans le monde d’Eco et on se plaît à revenir en arrière pour admirer encore une fois ces magnifiques images. De manière générale, le livre nous fait retrouver les sensations d’émerveillement que l’on éprouvait enfant devant un beau livre de contes illustré, tout en parlant à notre sensibilité d’adulte.
Quand, en plus, le texte, derrière l’apparente simplicité de son style, très fluide et agréable à lire, se révèle aussi fort et touchant – c’est dans ses dernières pages que le conte prend tout son sens – on est sûr de tenir là un vrai classique de ce que l’on pourrait appeler la « littérature illustrée », souvent regardée de haut en France car associée à l’enfance. Un mépris poli qui change depuis quelques années, notamment sous l’impulsion de Benjamin Lacombe et de certains de ses talentueux confrères (et d’éditeurs comme Soleil ou encore le Seuil, Albin Michel Jeunesse…), qui publient régulièrement des histoires originales ou des classiques illustrés rien que pour les adultes – ou presque.
Que vous soyez passés à côté d’Eco au moment de sa publication ou que vous en soyez un admirateur de la première heure, cette belle intégrale est à dévorer, à relire et à admirer sans complexes. Ses images et ses mots restent longtemps ancrés en nous, et nous avons définitivement besoin de ce type de livres…