Caractéristiques
- Titre : Les Bienheureux
- Auteur : Julien Dufresne-Lamy
- Editeur : Plon
- Date de sortie en librairies : 25 août 2022
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 240
- Prix : 19 euros
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 9/10 par 1 critique
Des enfants pas comme les autres
Fruit d’un travail de plus de deux ans, Les Bienheureux est le premier récit littéraire de Julien Dufresne-Lamy sur un syndrome génétique méconnu du grand public : le syndrome de Williams-Beuren, qui touche 300 000 personnes dans le monde. Les enfants qui en sont atteints sont plus petits que la moyenne et ont des allures d’elfes. Leur différence se caractérise par certaines caractéristiques physiques (au niveau des yeux et des lèvres, par exemple), physiologiques (des malformations cardiaques, un excès de calcium…), mais surtout psychologiques et motrices puisqu’ils possèdent un faible Q.I. et manquent souvent d’autonomie pour des choses aussi simples que s’habiller ou faire ses lacets. En revanche, ce sont des êtres aussi sociables que lumineux, qui adorent le contact avec autrui, les animaux et sont dotés de l’oreille absolue, d’où souvent un véritable talent musical.
Un récit personnel, le portrait de 9 familles et autant de parcours
Sur une longue période, l’auteur a rencontré 9 familles et interrogé les parents de ces enfants pas comme les autres afin de comprendre leur combat quotidien. Il a bien sûr également échangé directement avec les premiers intéressés, ces enfants et adolescents aux caractères et parcours différents. Le tout avec beaucoup d’empathie, de franchise et de lucidité et sans la moindre complaisance. Ainsi, Julien Dufresne-Lamy fait à la fois le récit personnel de son travail sur ce livre et de sa découverte du sujet comme il l’avait fait pour 907 fois Camille, tout en offrant le point de vue des parents qu’il a rencontrés, des enfants, mais aussi de leurs frères et sœurs, eux aussi confrontés au handicap et qui doivent trouver leur place au sein de leur famille.
Il dresse le portrait de chacun et parvient à nous faire partager leur point de vue. Il fait de chacun un personnage, mais sans jamais trahir, on le sent, la vérité qui est la leur. On sent véritablement la personnalité de chacun, parent ou enfant, de sorte que le lecteur s’attache à ces parents héroïques et à ces enfants pas comme les autres. L’approche varie sensiblement d’un chapitre à l’autre, d’une famille à l’autre. L’auteur donne parfois directement la parole à l’un de ses membres, comme c’est le cas avec Johana, la sœur d’Axelle.
Tandis qu’Axelle a du mal à accomplir des gestes simples qui vont de soi pour le commun des mortels, Johana est une adolescente à haut potentiel, que l’on sent ultra responsable pour son âge et qui a appris à prendre sur elle. Autant Axelle, malgré son handicap, a la faculté d’aller vers les autres sans méfiance et d’exprimer ses émotions, autant Johana est beaucoup plus intériorisée. Son témoignage permet de saisir toute la difficulté d’être le frère ou la sœur d’un enfant handicapé auquel les parents accordent forcément beaucoup d’attention : les sentiments ambivalents voire contradictoires qui se bousculent, la jalousie qui peut jaillir par moments et en même temps l’amour, la compréhension et la volonté de se battre contre l’injustice er les moqueries.
Un regard bienvenu sur le handicap
Il serait difficile et fastidieux de citer chaque « personnage » des Bienheureux – après tout, le livre est là pour nous permettre de faire leur connaissance – mais ce que l’on peut dire, c’est que Julien Dufresne-Lamy a réussi le pari de trouver le bon ton et la bonne distance pour évoquer le parcours de chacun d’entre eux sans les trahir, sans tomber dans le pathos ou un ton précautionneux inutile, une lourdeur empesée qui est souvent de rigueur quand on évoque le handicap tout en étant gêné, sans savoir par quel bout prendre la chose.
De ce point de vue-là, Les Bienheureux fait véritablement du bien car, sans jamais minimiser le parcours du combattant des familles et les épreuves traversées par chacun de ses membres (à commencer, bien entendu, par les enfants atteints du syndrome), le livre est plein de vie et évite à la fois les pièges du misérabilisme, du déterminisme et tout automatisme « bien intentionné » dans lequel il est si facile de tomber. Les parcours et personnalités de chacun sont d’ailleurs suffisamment différents pour nous permettre d’avoir une vision du syndrome, la manière dont il se manifeste et les façons d’y réagir qui ne soit pas limitée. Aucun des enfants dont nous faisons la connaissance ici n’est réduit à une liste de symptômes et de statistiques, et le livre est véritablement porteur d’espoir.
Il y a par exemple Marie, passionnée par la petite enfance, qui a dépassé toutes les attentes et est en train de passer son CAP malgré les difficultés qu’elle peut rencontrer. Si son degré d’autonomie par rapport à d’autres enfants de son âge atteints de la même maladie tient de l’exception, chaque portrait est l’occasion de rencontrer des enfants qui possèdent chacun leur univers, leur personnalité et des capacités souvent étonnantes, chacun à leur manière.
Un récit aux allures de conte initiatique
Il y a une dimension de conte clairement assumée par son auteur dans Les Bienheureux, ce qui est assez vite amorcé lorsqu’il explique, en préambule, que les enfants atteints du syndrome de Williams-Beuren ont des allures de lutin. Cela est particulièrement évident dans le chapitre « Comme un conte », qui présente l’histoire de Romain, un jeune homme présenté tour à tour comme le « petit prince » ou encore « Tom Pouce » : la manière dont il grandit peu à peu avec sa particularité, jusqu’à ce que le handicap soit diagnostiqué, avec toutes les errances (notamment dans le parcours scolaire) que cela suppose. Et son chemin par la suite : l’impact positif qu’il a sur les gens autour de lui, son don pour le piano… « Conte » étant ici à prendre au sens plus traditionnel du terme de « conte initiatique », où les jeunes héros ont le cœur pur, mais sont soumis à de nombreuses épreuves pour pouvoir s’accomplir.
Enfin, ce qui touche également autant dans Les Bienheureux, c’est que, à travers l’intelligence émotionnelle de ces enfants qui n’ont pas nos réflexes de peur et de méfiance (même si certaines de leurs réactions peuvent surprendre), Julien Dufresne-Lamy nous permet en creux de nous interroger sur notre propre relation aux autres et la manière dont nous sommes semble-t-il conditionnés à nous protéger, à dresser des barrières plutôt que des ponts de peur d’être blessés. Et, même si, à l’adolescence, nombreux sont les enfants atteints du syndrome à souffrir de dépression lorsqu’ils sont confrontés à des réactions de rejet souvent cruelles de la part d’autrui, le livre montre également la manière dont ils touchent beaucoup de gens et savent créer des liens. Il y a là quelque chose d’infiniment beau, et même bouleversant, sur l’importance du lien à autrui et de savoir dépasser nos craintes. Les familles de ces enfants n’ont d’ailleurs généralement pas eu le choix que de dépasser leurs peurs pour leurs enfants et le livre est porteur de cet élan vital qui permet d’aller au-delà des obstacles comme des préjugés (ou du moins d’y faire face), même si cela n’empêchera jamais la bêtise d’exister.
En cela, Les Bienheureux est un récit dont les mots et les protagonistes nous accompagnent longtemps. Julien Dufresne-Lamy signe là l’un de ses plus beaux livres, prouvant là encore sa capacité à se saisir de sujets difficiles et à les traiter de manière à la fois personnelle et dans toute leur complexité.