Caractéristiques
- Titre : Fauve : L’exorciste du Louvre, tome 1
- Auteur : Paula Andrade
- Illustrateur(s) : Paula Andrade
- Editeur : Vega
- Date de sortie en librairies : 14 février 2025
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 200
- Prix : 8,35 euros
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- Note : 9/10 par 1 critique
Second manga de Paula Andrade après Corvax Stigmata en 2017, Fauve : L’Exorciste du Louvre est une nouvelle série publiée aux éditions Vega (en association avec le musée du Louvre et Louvre-Lens) qui rend hommage à la force d’évocation des œuvres d’art au sein d’un récit empruntant autant au Sandman de Neil Gaiman qu’au concept de psycho-magie cher à l’artiste Alejandro Jodorowsky et à la psychologie jungienne.
La femme qui murmurait à l’oreille des tableaux
Dans ce premier tome, nous faisons la rencontre de Fauve Navarre, une « exorciste » qui intervient auprès des œuvres d’art bouleversées par les spectateurs du Louvre une fois le musée fermé. Epuisées par les flots d’émotions que ces derniers projettent sur elles, celles-ci déraillent régulièrement et provoquent des événements surnaturels au sein du musée… C’est là que Fauve intervient auprès des œuvres pour les débloquer ainsi que (directement ou indirectement) les visiteurs qui se retrouvent ensorcelés par elles et pris à leur piège dans ce qui s’apparente à d’apparents cas de syndromes de Stendhal.
Car, en fin de compte, Fauve est une jeune femme dont le principal talent est de sentir la charge émotionnelle des œuvres, tant grâce à sa culture artistique et ses connaissances que grâce à sa sensibilité à fleur de peau, bien qu’elle préfère traiter avec les œuvres qu’avec les humains… au grand désespoir de sa mère qui aimerait la caser. Impétueuse (son prénom fait après tout référence au fauvisme, mouvement dont les œuvres sont caractérisées par la vivacité des émotions qu’elles dégagent), elle ressent ainsi la charge émotionnelle provenant du créateur et du tableau en lui-même, mais cela lui permet aussi d’aider les visiteurs qui, en raison de leurs propres émotions et situation du moment, vont se focaliser sur un seul de ses aspects, qui fait écho à leur vécu, sans voir l’autre dimension de l’œuvre, cachée à leur conscience.
Faire parler les œuvres et les émotions qu’elles suscitent… un acte de chamanisme ?
Pour illustrer cet exemple, le premier exorcisme conduit par la jeune femme est très parlant : une adolescente se trouve bloquée face au Radeau de la Méduse de Géricault, en proie à une très grande détresse. Elle ne voit et ressent que le naufrage car elle-même a l’impression de ployer sous le poids de tout ce qui menace de l’engloutir. Fauve intervient alors auprès de l’œuvre pour lui rappeler que, malgré l’horreur de ce qui se passe au premier plan du tableau, elle représente avant tout l’espoir, et l’arrivée des secours à l’horizon, même si les personnages ne le voient pas encore. Une fois l’œuvre « calmée », elle montre ensuite à la jeune femme le bateau à peine visible à l’horizon, en arrière-plan et apaise ainsi ses angoisses. En lui montrant la lumière alors qu’elle ne voit que l’ombre (l’une ne pouvant exister sans l’autre), elle effectue ce que les psychologues anglo-saxons adeptes de Carl Gustav Jung appellent du shadow work (concept se basant sur le concept de l’Ombre cher à Jung).
Dans certaines des interventions suivantes, c’est parfois l’inverse : ainsi, une adolescente qui possède une vision entièrement lumineuse et romantique d’une œuvre plus ténébreuse qu’il n’y paraît se retrouve plongée dans une sorte de coma surnaturel car elle échoue à voir que son meilleur ami est amoureux d’elle… tandis que le jeune homme ne parvient pas à lui avouer ses sentiments par peur de la perdre… ou tout simplement par peur que les choses changent entre eux, dans un sens comme dans l’autre.
Au-delà de la dimension psychologique qui montre comment une œuvre peut entrer en résonnance avec nous à plusieurs niveaux, Fauve : L’Exorciste du Louvre est également un bel hommage au métier de guide de musée (et aux équipes des musées en général accueillant le public et interagissant avec lui) qui, au-delà de connaissances parfois encyclopédiques sur l’art, se doivent aussi d’être dotés de capacités humaines pour mener à bien leur mission et s’assurer que le sens des œuvres (y compris la dimension ayant échappé aux contemporains de l’artiste voire à l’artiste lui-même) ne soit pas perdu auprès du public, notamment dans leurs nuances.
Aller au-delà de l’évidence demande beaucoup de sensibilité et, pour que les œuvres perdurent dans le temps et continuent de toucher les gens, la mission de transmission assurée par les musées est essentielle. Dans le manga de Paula Andrade, les personnes comme Fauve sont montrées comme des shamans, rien de moins !
Et, pour faire passer le message, nous avons droit à une narration rythmée, souvent drôle, avec des personnages intéressants, y compris dans leurs interactions les uns avec les autres. Entre métaphore et ésotérisme du meilleur goût, Paula Andrade prouve qu’elle a bien digéré ses influences et lance son histoire sur les chapeaux de roue. Son style visuel est par ailleurs très agréable : les personnages évitent un chara design naïf et le trait, affuté, les rend très expressifs, ce qui nous permet d’être en empathie avec eux. Cela permet aussi de faire ressortir le côté sarcastique de Fauve et d’une partie de la tonalité des dialogues. On espère donc lire bientôt la suite des aventures de cette exorciste pas comme les autres !
