Caractéristiques

- Titre : La Dissonance
- Traducteur : Benoît Domis
- Auteur : Shaun Hamill
- Editeur : Albin Michel
- Collection : Imaginaire
- Date de sortie en librairies : 30 avril 2025
- Format numérique disponible : oui
- Nombre de pages : 640
- Prix : 24,90 euros
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- Note : 8/10 par 1 critique
Révélé en 2019 avec Une Cosmologie de monstres, un roman salué pour sa manière singulière de mêler horreur lovecraftienne et drame familial, Shaun Hamill revient en force avec une nouvelle œuvre fantastique, La Dissonance. Publié chez Albin Michel Imaginaire en avril 2025, il y poursuit l’exploration des frontières entre réel et surnaturel, tout en creusant des thématiques plus introspectives et psychologiques.
Chronique adolescente et magie intérieure
Ville de Clegg, 4800 âmes. Est du Texas. Nous sommes à l’été 1996 et quatre adolescents – Athena, Erin, Hal et Peter – vont sceller un pacte bien plus dangereux qu’ils ne le croient. Entre rite initiatique et dérive surnaturelle, ils découvrent « la dissonance », une forme de magie intérieure, viscérale, née des douleurs que l’on cache au fond de soi. Unis par leur marginalité, ces jeunes trouvent dans leur amitié un refuge, une sorte de famille choisie. Le roman initiatique se déploie alors : réunis au sein d’un coven, les protagonistes enrichissent leurs savoirs, participent à des colloques et des compétitions, dans un parcours tant intellectuel que personnel.
Le roman joue habilement sur une double temporalité, rappelant par instant le Ça de Stephen King, et alterne entre 1996 et 2019, année où les protagonistes, devenus adultes et prisonniers de vies banales, retournent à Clegg pour enquêter sur une entité surnaturelle extrêmement dangereuse. L’époque adolescente demeure cependant privilégiée, véritable cœur battant du récit. L’intrigue, construite autour d’un mystère profondément enfoui dans le passé, distille ses révélations avec parcimonie, maintenant un suspense efficace. Le lecteur découvre progressivement ce qui a bouleversé leur vie, sans en saisir toute la portée avant les derniers chapitres.
Un univers dense et intime
Shaun Hamill construit un univers d’une rare densité. En environ 630 pages, La Dissonance se distingue par une écriture fluide et enveloppante, un style calme qui contraste avec la violence latente du récit. Les ruelles de Clegg, ses commerces et ses bois deviennent familiers, tant l’auteur s’attarde à les décrire avec minutie. Chaque chapitre change de point de vue, nous faisant parfois revivre certains événements sous des angles différents. Certains lecteurs pourront trouver le rythme trop lent, voire étiré, mais c’est justement cette temporalité allongée qui permet de s’attacher aux personnages, de vivre avec eux, jour après jour, leurs découvertes, leurs chutes, et leurs émois.
Car ce qui marque vraiment dans La Dissonance, c’est cette attention portée à l’humain. Loin de se contenter d’être un roman d’apprentissage fantastique, l’auteur explore avec finesse les liens qui unissent ses jeunes héros. Amitiés inconditionnelles, premières amours, jalousies muettes… En parallèle de leur initiation à la magie, les adolescents traversent surtout un bouleversement intérieur : la peur de grandir, le vertige des premières soirées, la découverte de leurs propres limites. Et lorsque les survivants reviennent à Clegg, vingt-trois ans plus tard, Shaun Hamill capte parfaitement leur nostalgie et leurs émotions à fleur de peau.
Une plume résolument fantastique
La Dissonance ne fait pas dans la demi-mesure : la magie est omniprésente, étrange, parfois dérangeante. Il ne s’agit pas d’un folklore décoratif, mais d’un véritable système, avec ses règles propres que l’auteur détaille avec précision. Le roman jongle entre fantastique et fantasy avec une aisance désarmante : créatures humanoïdes, épées magiques, sortilèges… Certaines scènes sont violentes et brutalement frontales. Le récit n’épargne ni ses personnages ni ses lecteurs, et l’auteur n’hésite pas à nous perdre dans des errances aux confins du réel. Quêtes initiatiques, explorations de mondes parallèles, visions cauchemardesques… Les amateurs de SFFF y trouveront leur compte, mais les autres risquent de décrocher.
Si l’ensemble reste plaisant à suivre grâce à des chapitres courts, certaines longueurs se font malgré tout sentir dans la deuxième partie du roman. Le récit aurait sans doute gagné en intensité avec quelques coupes bien senties. Pourtant, les personnages et l’affection sincère que l’auteur parvient à susciter pour eux nous raccrochent toujours au fil narratif. il faut, en effet, reconnaître à Shaun Hamill une plume captivante et une étonnante capacité à distiller un malaise insidieux : certaines scènes, certaines réactions de personnages déconcertent, sans qu’on sache immédiatement pourquoi. Ce n’est qu’après coup que l’on mesure le malaise diffus instillé par ces passages, à la lisière du rêve et de l’inconscient.
Avec La Dissonance, Shaun Hamill signe donc un roman dense, ambitieux, et profondément sensoriel. Loin d’être une simple variation sur le thème de l’initiation adolescente, il offre une plongée troublante dans l’intimité de personnages cabossés, doublée d’une épopée fantastique très immersive. Malgré quelques longueurs, le roman s’impose comme une expérience de lecture singulière, intense, et émotionnellement puissante. Un accord étrange qui continuera de résonner longtemps après avoir tourné la dernière page.