Alors que Halloween approche à grands pas, nous ne pouvions décemment pas faire l’impasse sur le sujet de la peur, la frayeur, la grosse pétoche qui vous submerge et vous met le frisson quand il faut aller aux toilettes en pleine nuit (ndlr : ça, c’est du vécu !). Et pour bien aborder ce thème, on avait envie de causer de celui qui est certainement le plus grand des auteurs ayant œuvré pour nous terroriser : Howard Phillips Lovecraft. On ne vous refera pas tout le topo de sa biographie, elle est à portée de tout le monde via certaines encyclopédie plus ou moins libres, mais sachez que la légende du personnage de l’écrivain solitaire, misanthrope à fond les ballons, n’aimant que peu les joies de la vie, n’est pas nécessairement vraie. H. P. Lovecraft avait des amis avec lesquels il communiquait, des envies, et des passions (il adorait les glaces, par exemple).
Parmi les données qui reviennent souvent quand on aborde cet auteur, aucune n’est plus vraie que celle qui informe que H. P. Lovecraft n’a jamais connu le succès de son vivant. Publié au sein de revues pulp, comme la désormais culte Weird Tales, l’écrivain naquit à Providence, mais il ne rencontrera cette dernière qu’après sa mort, Aujourd’hui, les éditions Bragelonne, conjointement avec Sans-Détour, permettent de redécouvrir cet auteur d’une importance capitale, qui a inspiré une tonne d’artistes depuis bien des dizaines d’années. Les trois tomes de Cthulhu le mythe nous présentent les textes précisément situés dans l’univers si captivant qu’a pu construire Lovecraft. Divinités indicibles, monstres venus d’ailleurs ou présents parmi nous depuis la nuit des temps, ces œuvres sont habitées par l’esprit des Grands Anciens. Cthulhu évidemment, car il donne son nom au mythe et reste la divinité la plus connue, mais gare à Azathoth, dit « le sultan des démons », Yog-Sothoth, dit « le tout en un et un en tout », ou encore à Nyarlathotep, alias « le Chaos Rampant ».
Apprêtez-vous à trembler plus que de raison sur des pages et des pages, avec des histoires toutes lisibles indépendamment mais dont le fil rouge est cette guerre de l’ombre, cette menace insidieuse qui vise à rétablir d’anciennes dominations impies. Des nouvelles pour vous faire frémir, provoquer bien des cauchemars et, surtout, qui vous ferons prendre conscience de la force phénoménale qui se dégage de l’univers créé par H. P. Lovecraft, cet auteur décidément génial. Signalons, par ailleurs, que les différents textes profitent de nouvelles traductions. Pour le tome 1, c’est un duo qui est à l’œuvre : Maxime Le Dain et Sonia Quémener, tandis que pour les deux autres recueils c’est Arnaud Damaegd qui est au travail, pour un rendu fidèle au texte original et non « mis au goût du jour ».
Cthulhu le mythe volume 1
Quand on a en mains l’un des ouvrages de cette série, on sent de suite que l’éditeur ne s’est pas fichu de sa clientèle. Tout débute par une introduction signée par Jérôme Bouscaut, 43 pages destinées à celles et ceux qui découvriraient l’auteur à l’occasion de cet achat. Et l’exercice est réussit, la plume aborde de manière concise mais complète certaines spécificités du mythe de Cthulhu. Comme le fait, par exemple, que cet univers créé par H. P. Lovecraft a ensuite été creusé par un véritable cercle d’auteurs. L’occasion d’ailleurs de rappeler que si mythologie il y a, c’est en bonne partie grâce à ces écrivains passionnés, parfois conseillés par Lovecraft en personne. On pense évidemment à August Derleth, qui a le premier utilisé le terme de « mythe de Cthulhu ». Buscaut aborde aussi les références de l’auteur, mais aussi les répercussions de son œuvre dans la culture jusqu’à aujourd’hui avec, notamment, le jeu vidéo. Bref, le lecteur n’est pas lâché dans la nature, et c’est un effort à souligner.
Au programme de Cthulhu le mythe volume 1, on retrouve neuf récits :
- La Cité sans nom
- Le Festival
- L’appel de Cthulhu
- L’Horreur à Dunwich
- Celui qui chuchotait dans le noir
- Le Cauchemar d’Innsmouth
- La Maison de la Sorcière
- Le Monstre sur le seuil
- Celui qui hante les ténèbres
Les aficionados de Lovecraft remarqueront que certains titres ont été modifiés (L’Abomination de Dunwich devient L’Horreur à Dunwich, par exemple), pour mieux coller à l’esprit des intitulés originaux. Cela peut choquer l’œil habitué, mais la cohérence est si bonne que l’on n’a pas été ni surpris, ni gêné par ce changement certes abrupte mais pas spécialement gênante. Cette petite précision effectuée, on peut se lancer dans ce qui intéresse évidemment de prime abord : les différents textes qui composent Cthulhu le mythe tome 1. La sélection opérée est à la fois surprenante et bien vue. Surprenante, car toutes les histoires invoquées ne sont pas spécialement les plus connues. Bien vue, car ces récits moins en lumière sont pourtant d’une force indéniable, au point que l’on ne comprend pas leur statut moins privilégié. On pense à La Maison de la Sorcière, une nouvelle détruite par la critique de l’époque mais qui se trouve être une histoire savoureuse pour qui veut se frotter au mythe de Cthulhu, et particulièrement à Nyarlathotep.
Une réhabilitation salutaire donc, mais aussi des confirmations. Lire Cthulhu le mythe Tome 1, c’est se rappeler au bon souvenir d’un des auteurs les plus doués du vingtième siècle, tous genres confondus. L’horreur à Dunwich et sa créature épouvantable, fruit d’une union contre-nature. Le Cauchemar d’Innsmouth et sa fuite sur les toits qui provoque une frayeur incroyable. La folie furieuse qui se dégage de la cérémonie impie du Festival. Et comment ne pas être épouvanté par les créatures charriées par l’inondation de Celui qui chuchotait dans les Ténèbres ? Étrangement, seule L’Appel de Cthulhu et sa structure éclatée laisse un petit sentiment perplexe, un texte peut-être un peu déséquilibré et trop mystérieux pour être totalement définitif. Lovecraft lui-même n’en était pas très satisfait, et on se range à ses côtés.
Cthulhu le mythe Tome 1 comporte aussi un très beau portfolio, lequel est intitulé Les terres de Lovecraft en images. Seize photos en noir et blanc présentant des lieux qui, clairement, ont un vrai pouvoir de fascination tant elles illustrent les écrits de Lovecraft. Le récif du Diable, la ferme des Whateley, la grande bibliothèque de l’université Miskatonic, et d’autres : tous ont donc droit à un repère visuel pertinent. Cela ne remplace évidemment pas le travail d’imagination, le non-montré très puissant chez l’auteur, mais on apprécie tout de même l’ambiance pour le moins inquiétante qui se dégage de ces quelques clichés. Une sucrerie qui englobe la belle réussite de cette sélection équilibrée.
Cthulhu le mythe Tome 1, écrit par H. P. Lovecraft, préfacé par Jérôme Bouscaut, traduit par Maxime Le Dain et Sonia Quémener. Aux éditions Bragelonne, en partenariat avec Sans-Détour, 430 pages, 25 euros. Sortie le 21 octobre 2015.
Cthulhu le mythe Tome 2
Cette fois-ci, point d’introduction au programme de ce deuxième tome de Cthulhu le Mythe, mais un démarrage tout en douceur assez remarquable. Avant toute chose, décrivons le programme bien fourni qui attend le lecteur :
- Azathoth
- Histoire du Nécronomicon
- Nyarlathotep
- Dagon
- De l’au-delà
- Le Molosse
- La Musique d’Erich Zann
- Par-delà le mur du sommeil
- Le Temple
- La Peur qui rôde
- La Couleur venue d’ailleurs
- L’Ombre immémoriale
- Les Montagnes de la démence
Ajoutons à ce programme délicieusement chargé un portfolio intitulé Les Créatures du mythe, qui nous présente plusieurs des monstres indicibles qui parsèment cet univers maudit. Les illustrations de Loïc Muzy, qui a notamment œuvré sur le jeu de rôle L’Appel de Cthulhu ou des jeux vidéo (Battlefleet Gothic : Armada) réussissent à donner corps à l’indémontrable, avec un sens du détail glauque assez fascinant. Comme pour le tome 1, Cthulhu le mythe Tome 2 n’hésite pas à revoir la traduction de certains titres dont un qui, avouons le, peut faire tiquer (Les Montagnes hallucinées devient Les Montagnes de la démence). Mais soit, on acquiesce étant donné que le sens de la traduction est plus proche du sens de l’intitulé original. Cette suite du programme fait figurer pas moins de 13 nouvelles, et encore une fois c’est l’équilibre de l’édition qui nous laisse une excellente impression. Tout commence par quatre récits qui nous en disent plus sur l’univers de Lovecraft, et plus particulièrement celui des Grands anciens. Puis c’est le top départ d’un recueil sans fausse note.
De l’au-delà, que les cinéphiles connaissent bien pour avoir servi de base au From Beyond de Stuart Gordon, est un récit court mais comprenant bien des qualités de l’écriture lovecraftienne, et surtout cette façon de créer la peur par la conséquence et non la description de l’acte direct. Ensuite vient Le Molosse, œuvre très importante car elle comporte la première mention au fameux Necronomicon. On apprécie énormément La Musique d’Erich Zann, une nouvelle moins renommée que beaucoup d’autres intrigues mais terriblement efficace. Cette histoire de musicien jouant des notes inconnues afin de garder éloigner l’indicible des parages vous fera dresser les cheveux sur la tête !
Le travail éditorial porte ses fruits : on passe de récits bien connus à d’autres que l’on prend un plaisir fou à découvrir. La Couleur venue d’ailleurs est une nouvelle certes toujours aussi flippante, mais la moins connue Le Temple ne démérite pas une seconde face aux mastodontes. Cette histoire se déroulant dans les fonds sous-marins cultive claustrophobie et épouvante avec génie. On aurait peut-être aimé que cette nouvelle soit placée parmi les premières de Cthulhu le mythe Tome 2, pour sa trame qui peut tout à fait introduire les mondes engloutis qui parsèment l’œuvre de H. P. Lovecraft. Ce second volume se boucle par un bon gros morceau, certainement l’une des histoires les plus renommées de l’écrivain : Les Montages de la démence, sorte de sommet (enneigé) pour l’auteur. C’est ce qu’on appelle un bouquet final…
Cthulhu le mythe Tome 2, écrit par H. P. Lovecraft, traduit par Arnaud Damaegd. Aux éditions Bragelonne, en partenariat avec Sans-Détour, 378 pages, 25 euros. Sortie le 21 octobre 2015.
Cthulhu le mythe Tome 3
Vous connaissez l’adage : jamais deux sans trois, surtout qu’en l’occurrence vous auriez le tort de vous priver à la fois de l’exhaustivité et, encore une fois, d’un programme agréablement cohérent. D’ailleurs, le voici :
- Le Livre
- Le Monstre dans la caverne
- L’Étranger
- L’Indicible
- La Tombe
- Le Modèle de Pickman
- Les Rats dans les murs
- L’Horreur de Red Hook
- La Maison maudite
- Herbert West, réanimateur
- L’Affaire Charles Dexter Ward
Tout comme pour le tome 2, Cthulhu le mythe Tome 3 contient un portfolio tout à fait conseillé, quelques pages dessinées avec talent par Loïc Muzy et nous présentant quelques uns des monstres qui hantent les pages que vous vous apprêtez à lire. On se doit d’appuyer sur une donnée : cette trilogie se tient de manière robuste grâce à l’équilibre de chacune des sélections. Le début de ce troisième recueil est toutefois un peu plus poussif que pour les deux autres, Le Livre étant un récit inachevé pas spécialement mémorable, et Le Monstre dans la caverne restant somme toute une nouvelle prenante mais tout de même mineure. L’Étranger (bien plus connu sous le titre Je suis d’ailleurs) vient siffler le début des choses très sérieuses : c’est un classique, très Edgar Allan Poe dans l’esprit, et le final hantera n’importe quel lecteur pendant (très) longtemps.
La Maison maudite est, là encore, une nouvelle de Lovecraft moins citée que certaines autres et pourtant tout à fait recommandable. Cette histoire d’attirance inexplicable pour une bâtisse qui devient de plus en plus inquiétante fonctionne à la perfection, non sans réserver un des moments horrifiques les plus gores de la bibliographie de H. P. Lovecraft. Les Rats dans les murs et Herbert West, réanimateur sont toujours les deux gros morceaux bien connus par la plupart des amateurs de littérature d’épouvante. Cthulhu le mythe Tome 3 se termine comme son prédécesseur : avec un bon gros morceau de choix, un classique parmi les classiques. Cette fois-ci, c’est L’Affaire Charles Dexter Ward qui est invoqué, une nouvelle longue et passionnante, durant laquelle intervient pour la première fois le nom de Yog-Sothoth. Ce qu’il se passe lors du final, dans la maison de Pawtuxet, figure parmi les meilleures lignes signées Lovecraft…
Cthulhu le mythe Tome 3, écrit par H. P. Lovecraft, traduit par Arnaud Damaegd. Aux éditions Bragelonne, en partenariat avec Sans-Détour, 374 pages, 25 euros. Sortie le 14 septembre 2016.
Bonus
Afin de creuser encore un peu plus le sujet H. P. Lovecraft, et pour vous permettre de passer un Halloween totalement sous l’influence de cet auteur importantissime, nous vous conseillons trois films qui pourront vous offrir chacun un angle d’approche différent pour une soirée « Lovecraft au cinéma » réussie.
On aurait pu citer bien d’autres films de Stuart Gordon, grand spécialiste des adaptations lovecraftiennes au cinéma (avec son compère Brian Yuzna). Mais Ré-animator est sans aucun doute la plus réussie, pas spécialement en terme de fidélité à la nouvelle qui sert de base mais en qualité cinématographique. Excellente ambiance, effets gores charmants et grosse prestation de Jeffrey Combs. Si ce film a gagné ses galons de film culte, ce n’est pas pour rien…
L’antre de la folie n’est certes pas une adaptation d’une nouvelle de Lovecraft, mais il s’agit d’un hommage évident et vibrant de John Carpenter à l’écrivain de Providence. On y trouve cette envie d’avant tout provoquer la peur par l’ambiance et non la démonstration d’une violence graphique contre-productive. Un film fait pour être regardé lors d’une soirée de Halloween, avec ce qu’il faut d’angoisse et de monstres indicibles.
L’appel de Cthulhu est le film le plus récent, et pourtant c’est une œuvre muette et en noir et blanc. Moyen métrage amateur dans le budget mais bourré d’idées et surtout de passion pour l’œuvre de Lovecraft, voilà sans aucun doute l’adaptation la plus fidèle tirée d’une nouvelle de l’auteur. On aime tout particulièrement cette envie de ne pas se donner de limites, et de contourner les difficultés en adaptant les moyens et le rendu. Pas de CGI low cost, mais des effets « à l’ancienne », un casting un peu juste mais investi : un bel effort pas clinquant mais rempli d’une générosité communicative.