Caractéristiques

- Titre : Le Dernier été de mon innocence
- Auteur : Antonin Gallo
- Editeur : Robinson Editions
- Collection : Robinson/Creation
- Date de sortie en librairies : 27 août 2025
- Format numérique disponible : non
- Nombre de pages : 328
- Prix : 35 €
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 8/10 par 1 critique
Antonin Gallo est un auteur et illustrateur déjà remarqué pour ses deux précédents romans graphiques, Détox et État des lieux. Avec Le Dernier été de mon innocence, publié aux éditions Robinson, l’artiste nous plonge dans une nouvelle fresque intime et sensible où souvenirs et blessures s’entremêlent pour raconter avec justesse le passage tumultueux de l’adolescence à l’âge adulte.
Polaroids et retour au pays
L’histoire s’ouvre à l’été 2018, dans le petit village d’Aubin, où Chloé, jeune maman, revient poser ses valises le temps d’un déménagement chargé de nostalgie. Née dans ce milieu rural modeste, elle retrouve son village natal accompagnée de son frère pour trier les affaires de leur père. Cette mission devient vite le prétexte à une immersion au cœur d’un passé enfoui. Parmi les cartons, Chloé découvre une vieille série de polaroids, comme autant d’instants figés qui éveillent en elle un flot de souvenirs.
Le récit prend la forme d’une mosaïque intime où chaque souvenir s’égrène autour des photographies, véritables fenêtres vers l’adolescence de Chloé. Seize images instantanées qui servent de points d’ancrage à une narration qui commence à l’été 1996. Chaque nouveau chapitre commence par un cliché, daté et accompagné de paroles de chansons, puis la bande dessinée déploie son récit, donnant vie à ces moments suspendus. Une playlist en fin d’album complète ce dispositif, soulignant l’importance de la musique comme mémoire sensorielle. Malgré un titre pouvant prêter à confusion, Le Dernier été de mon innocence s’étend bien au-delà d’un simple été, couvrant une large tranche de vie et d’émotions.
Grandir entre ombres et lumière
Au cœur du roman graphique, se déploie une réflexion poignante sur la complexité des relations familiales. Face à de lourdes tensions, Chloé choisit l’internat, un éloignement nécessaire pour tenter de se reconstruire loin d’un foyer où elle ne se sent plus à sa place. Ses souvenirs oscillent entre moments anodins – essayage de robes, parties de jeux vidéo dans un bar – et épreuves plus lourdes : maladie, deuil, violences sexuelles et précarité. Avec un réalisme sans fard, le récit accompagne le passage brutal de la jeune fille à l’âge adulte. Son corps change, et avec lui le regard des autres. La découverte du désir, les relations amoureuses, mais aussi les violences subies se déploient dans un crescendo d’angoisse et de douleur.
Le chemin de la reconstruction s’enclenche alors, long et sinueux, marqué par des relations complexes, des excès et des dérives. Le récit, parfois didactique dans ses prises de position féministes, n’en demeure pas moins profondément émouvant, révélant une colère sincère face aux injustices subies. Par instants révoltant, ce témoignage sensible ne laisse pas indifférent et interroge avec justesse la place des femmes, la violence et la force nécessaire pour se relever.
Un trait sensible au service de la mémoire
Avec près de 300 pages, Le Dernier été de mon innocence déploie un univers visuel dense et maîtrisé où chaque choix graphique participe à la narration. La colorimétrie évolue au fil du récit, devenant un véritable baromètre émotionnel. Le sépia dominant crée une atmosphère nostalgique, comme un voile ancien posé sur les souvenirs. Lorsque Chloé découvre la mer, la palette s’éclaircit, laissant place à des tons plus lumineux et apaisants, qui traduisent cette bouffée d’air et d’espoir. Mais le retour à la grisaille s’impose avec les épreuves familiales, et les teintes se font plus ternes, douloureuses. La mise en page joue elle aussi un rôle majeur : cadrages soignés, ruptures et zooms qui accentuent l’immersion et l’émotion.
Chloé est elle-même une artiste, peintre et photographe, et cette dimension créative irrigue le récit. Des natures mortes classiques aux compositions futuristes, sa démarche artistique est un moyen d’explorer son monde intérieur. Le trait d’Antonin Gallo, précis et élégant, capte à vif les émotions et les sensations, avec une belle intensité. Les sentiments d’oppression ou d’angoisse se matérialisent par des spirales ou des déformations graphiques qui plongent le lecteur au cœur de la psyché tourmentée du personnage. Ce passage subtil entre réalisme et introspection confère à l’œuvre une grande profondeur.
Le Dernier été de mon innocence est donc une œuvre riche et émouvante qui explore avec justesse le passage à l’âge adulte de sa protagoniste, ses blessures et ses espoirs. Antonin Gallo y déploie un récit intime mêlant habilement narration fragmentée et style graphique expressif. Roman graphique destiné à un public averti, il propose un récit puissant sur la mémoire et la reconstruction.