[Critique Roman] Le Courant d’air – Catherine Ryan Howard

Caractéristiques

  • Titre : Le Courant d'Air
  • Traducteur : Sébastian Danchin
  • Auteur : Catherine Ryan Howard
  • Editeur : Éditions de l'Archipel
  • Collection : Suspense
  • Date de sortie en librairies : 15 mai 2025
  • Format numérique disponible : oui
  • Nombre de pages : 408
  • Prix : 23 €
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 7/10

Le Courant d’air est le premier roman traduit en français de Catherine Ryan Howard, figure incontournable du thriller outre-Manche. Cette autrice originaire de Cork s’est imposée comme la numéro un du genre en Irlande, avec huit romans à son actif et le Prix An Post du meilleur suspense en 2021. Publiée dans vingt pays, elle entame avec ce titre, publié aux éditions de L’Archipel, sa conquête du lectorat francophone.

Une mécanique narrative redoutable

A l’âge de douze ans, Eve Black a miraculeusement échappé à la tuerie qui a décimé sa famille. Son père, sa mère et sa petite sœur de sept ans ont tous été assassinés par un tueur qui n’a jamais été arrêté et qu’on a, par la suite, surnommé « Le Courant d’air ». Vingt ans plus tard, Eve est devenue écrivaine. Elle publie un true crime dans lequel elle retrace la série de meurtres survenus à Cork au début des années 2000. Un livre écrit pour comprendre, pour dénoncer… ou pour provoquer le tueur et le pousser à sortir de sa cachette…

Plutôt que de livrer un simple roman à narration alternée, Catherine Ryan Howard construit un récit en abyme d’une précision redoutable : le livre publié par Eve est entièrement intégré dans le roman principal, avec page de garde, dédicace, et même un ISBN fictif. À chaque fois que Jim, le tueur, ouvre l’ouvrage, la typographie change, le récit passe à la première personne – celle d’Eve – et nous plonge dans son témoignage. Plus qu’un simple effet de style, ce dispositif crée une double lecture, en miroir. Le lecteur lit en même temps que Jim, découvre ses réactions, ses crispations, ses suspicions. Cette mécanique narrative instaure une tension constante et immersive et propose un paradoxe fascinant : lire un livre avec celui qu’il accuse.

Plongée glaçante dans la psyché d’un tueur vieillissant

Dès les premières pages, Catherine Ryan Howard désamorce le suspense classique : Jim Doyle est le Courant d’air, nul doute là-dessus. L’enjeu ne sera donc pas de deviner son identité, mais d’entrer dans l’esprit d’un tueur sur le déclin. Loin des figures stéréotypées du serial killer charismatique, Jim est un homme terne, sans éclat ni intelligence particulière. Un homme de l’ombre relégué à un emploi monotone dans un supermarché. Lorsqu’il découvre le livre d’Eve, il le lit avec une distance clinique, narcissique.

Là où tant de romans mettent en scène des monstres à l’apogée de leur puissance, l’autrice nous confronte à une lente érosion. Malgré tout, le malaise est constant, car ce silence pesant, ces souvenirs sanglants que Jim revisite sans émotions, font naître une tension plus insidieuse que spectaculaire. Ses pensées sont déplaisantes, il n’a aucune empathie pour qui que ce soit, et ses anciennes méthodes – décrites avec une précision glaçante – font froid dans le dos. Le lecteur est placé dans une position inconfortable : suivre ce monstre en train de lire, tout comme lui, les mots d’Eve, avec cette proximité forcée qui donne à l’ensemble une intensité troublante.

Un thriller immersif mais émotionnellement distant

Le Courant d’air est un bon page-turner : l’écriture fluide, les chapitres courts, et le jeu tendu entre Eve et Jim – chacun lisant ou écrivant pour traquer l’autre – entretiennent un suspense constant. Certes, on anticipe parfois certains événements, et le procédé s’essouffle forcément à mesure qu’il se répète. Cependant, Catherine Ryan Howard parvient à relancer l’intérêt avec un dénouement convaincant et bien amené. Quant à l’ambiance locale, elle fait mouche : l’Irlande imprègne le roman d’une teinte grise et familière, loin des codes du thriller américain ou du polar français.

Pourtant, malgré cette efficacité narrative, une distance demeure. L’immersion est réelle mais l’émotion reste en surface. La plume de l’autrice est agréable mais sans éclat particulier et le récit enchâssé, qui constitue une bonne moitié du roman, adopte le ton journalistique typique des true crimes. Si ce choix renforce l’illusion de réalité, c’est au prix d’une certaine monotonie, voire d’un léger ennui sur quelques passages. Enfin, si la volonté affichée du roman est louable – rendre hommage aux victimes plutôt qu’aux tueurs – il ne parvient pas pleinement à émouvoir, car les témoignages demeurent trop extérieurs, trop factuels pour éveiller un véritable attachement.

Avec Le Courant d’air, Catherine Ryan Howard signe donc un thriller solidement construit, porté par un dispositif narratif audacieux et maîtrisé. Si le roman peine à susciter une réelle implication affective de la part du lecteur, il le tient assurément en haleine grâce à une mécanique implacable et à un suspense redoutable.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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