[Critique] Sacrements – Clive Barker

image clive barker sacrementsUn roman sombre et élégant, parmi les meilleurs travaux de Clive Barker

Après Galilée, Secret Show et Les Évangiles Écarlates, Bragelonne continue d’explorer l’univers finalement plutôt méconnu de Clive Barker. L’écrivain britannique est souvent résumé à son grand talent pour les descriptions gores, ses ambiances putrides et son goût pour les sexualités plus ou moins déviantes. Si tout cela est vrai, on retrouve chacun de ces éléments dans ses romans, on ne peut pas non plus résumer le style de cet auteur si particulier aussi « facilement ». Aussi très porté sur le symbolisme, le rapport aux récits mythologiques, Clive Barker est en fait un auteur qui reste encore à découvrir, d’où l’intérêt de la sortie de Sacrements. Ce dernier se hisse-t-il au rang des réussites de l’écrivain ?

Sacrements raconte l’histoire de Will Rabjohns, photographe de l’extrême dont la spécialité est à la fois fortement troublante et intéressante : capter en cliché les derniers instants d’animaux classifiés « espèce en voie de disparition ». Par ce biais, le photographe réussit à immortaliser l’implacable et exécrable domination de l’espèce humaine. Mais ce boulot n’est pas sans risques, et Will Rabjohns va l’apprendre à ses dépens : il se fait massacrer par une ourse polaire sur la défensive, et tombe dans un coma profond. Dans cet état végétatif, il va vivre une expérience déroutante : la résurgence de souvenirs d’enfance, qu’il pensaient à jamais enfouis, le tout hanté par la présence inquiétante d’un couple énigmatique. Le réveil est évidemment difficile, mais le photographe est désormais motivé pour se mettre en quête de sa propre identité, quitte à faire face à l’horreur pure.

Une quête initiatique éprouvante mais nécessaire

Sacrements est typique de ce que l’œuvre de Clive Barker a pu produire, loin des idées reçues sur son compte. A tel point que ce véritable pavé, au rythme soutenu, est à conseiller à celles et ceux qui voudraient découvrir des textes de l’auteur qui ne soient pas (l’excellent) Hellraiser. Comme toujours avec Barker, tout commence par une mise en place fascinante, qui happe le lecteur et l’entraîne, de gré ou de force, dans un univers fondamentalement ultra-riche. Cette véritable magie opère ici grâce à Will Rabjohns, personnage à la fois lambda et bourré de potentiel. Homosexuel vivant pleinement ses amours, il n’en est pas moins que l’épidémie de Sida le bride. Cet élément est crucial dans l’œuvre de Barker, lui-même gay déclaré, et beaucoup des thématiques qui traversent Sacrements se comprennent d’autant plus sous cet angle. Ses capacités exploseront après un passage parmi les plus fascinants qu’ait pu écrire l’auteur : une phase de coma qui brasse autant l’épouvante que le merveilleux, pour résulter sur une prise de conscience fondamentale.

Sacrements devient alors une sorte de trip à la limite du cosmique, où les images épouvantables succèdent à des tableaux exquis. On apprécie aussi le rapport entre Will et Rosa, bien moins superficiel qu’il n’y paraît au début. Le fond du roman se trouve bien là : faire comprendre que tout Homme se doit de digérer son passé, aussi épouvantable soit-il, afin de se révéler totalement à la face du monde. Autre sujet important, le rapport à la Terre, à une Dame Nature poussée dans ses derniers retranchements, que l’écrivain développe juste ce qu’il faut pour que ce soit pertinent. Clive Barker arrive à ses fins avec tout le talent qu’on lui connaît, et non sans les quelques digressions, descriptions glauquissimes, qui font aussi son charme. Quelques passages de Sacrements pourront paraître un peu boursoufflés, mais rien n’est laissé au hasard : tout converge vers un final, une apothéose grandiose, qui rassemble tous les thèmes précédemment abordés pour ne faire plus qu’un dans un sentiment fantasmagorique impressionnant. On finit certes sur les rotules, de par la longueur du roman mais aussi à cause (grâce ?) de certains passages éreintants, mais comme toujours avec Clive Barker… on en demande encore. Signalons, pour finir, que la superbe couverture de cette édition Bragelonne est assuré par l’excellent Bastien Lecouffe Deharme.

Sacrements, un roman écrit par Clive Barker. Traduit de l’anglais par Jean Pêcheux. Aux éditions Bragelonne, 548 pages, 25 euros. Sortie le 19 octobre 2016.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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