Une véritable révélation
Contact est le premier roman que j’ai lu dont je peux dire qu’il a véritablement marqué ma vie. Une révélation tellement forte que je pourrais, sans trop exagérer, la comparer à une révélation spirituelle. La dite spiritualité n’étant pas nécessairement affaire de religion. Cela semblera peut-être étrange pour certaines personnes, mais il s’agit après tout d’une des thématiques principales du livre, et je développerai ce point plus loin. D’où mon excitation à l’idée de vous faire partager mon point de vue sur ce chef d’oeuvre…
et mon appréhension. Lorsqu’un livre (de même qu’un film ou une série d’ailleurs) a une telle importance pour soi, il est toujours délicat d’en retranscrire parfaitement son ressenti.
J’ai découvert le roman de Carl Sagan, plus connu pour sa carrière scientifique, au moment de la sortie de son adaptation cinématographique par Robert Zemeckis
en 1997. J’avais alors 11 ans 1/2 et, en grande fan de la série X-Files, je voulais absolument voir ce film de rencontre extraterrestre dont le protagoniste principal
était une femme. Je n’avais pas pu le voir en fin de compte car il n’était pas resté suffisamment de temps à l’affiche, du coup, j’avais demandé à ma grand-mère, inscrite à France Loisirs, de m’acheter le roman.
Science et féminisme
Je ne savais pas que celui-ci était très complexe et recelait de très nombreux termes et explications scientifiques à peu près incompréhensibles pour une fille de mon âge qui, de surcroît, n’aimait pas du tout les maths… Mais cet aspect ne m’avais pas trop rebutée en fin de compte… même si j’avais interrompu ma lecture au bout de 250 pages environ (sur un total de 600) avant de la reprendre, depuis le début, deux ans plus tard, en 4ème. Ce n’est pas tellement que je m’étais désintéressée du livre (même si la lecture de certains passages scientifiques volumineux s’était en effet avérée ardue), mais j’ai toujours eu besoin de lire les livres intensément, sans trop d’interruptions ou lectures parallèles, sinon j’ai tendance à les lâcher en cours. Sans même avoir lu la moitié du roman, celui-ci était devenu mon préféré, mais je pense que c’est une bonne chose que je ne l’ai lu dans son intégralité qu’à 14 ans. Tout aussi mature que j’étais pour mon âge (du point de vue de mes lectures, du moins), je ne sais pas si le contenu philosophique et métaphysique du livre de Sagan aurait eu un tel impact sur moi à 11 ans.
Lors de ma première lecture, je m’identifiais surtout fortement à la jeune Ellie Arroway: je me reconnaissais dans sa curiosité débordante, sa soif de connaissances et sa passion précoce pour un domaine particulier (même si ce n’était pas le même que le mien), sa relation à l’imaginaire, au rêve… Toute cette première partie est véritablement ce qui m’a permis d’accrocher au livre et de m’attacher à l’héroïne, de comprendre sa relation à l’astronomie et il est fort possible que sans cela j’aurais pu passer à côté du roman. La dimension féministe, présente dès le départ, avait également fait “tilt” chez moi, alors que je ne m’étais jamais interrogée sur la question auparavant (ce qui était un peu normal). Ellie doit affronter enfant les remontrances d’un beau-père de la vieille école qui estime que la science ne constitue pas une carrière convenable pour une fille, adulte elle sera confrontée à la misogynie de ce milieu…
Une réflexion théologique et philosophique passionnante
Et j’ai surtout été fascinée par toute la dimension théologique, très critique : agnostique, l’héroïne pose des questions embarrassantes au catéchisme dès son plus jeune âge et pousse dans leurs retranchements les personnes très croyantes qui critiquent son approche scientifique et sa recherche d’une vie extraterrestre. A un âge où je ne me posais pas tellement de questions sur la religion (mon père étant athée n’a jamais eu l’idée de me faire baptiser, ma mère et quelques personnes de ma famille sont vaguement croyantes mais sans plus), le roman m’a clairement aidée à définir mes pensées et mes valeurs, ou du moins à les découvrir car j’ai réalisé que ces sujets (la condition féminine et comment celle-ci a pu être limitée par les interprétations de certains textes religieux ; l’intolérance à un type de pensée différent du sien) me touchaient énormément et étaient profondément ancrés en moi, ce qui ressortait notamment (de manière certes un peu vague à l’époque) dans les nouvelles que j’écrivais.
Le roman de Carl Sagan (lui-même agnostique) propose une réflexion passionnante, d’une rare acuité, sur la foi religieuse en elle-même et comment celle-ci peut être instrumentalisée par le pouvoir en place, aux États-Unis plus particulièrement. La force du livre étant de ne pas rester sur la seule position de son héroïne (qui reconnait certains de ses torts dans ses prises de position et ressort plus humble de son voyage à la fin de l’histoire) : le personnage excentrique et ambigu du pasteur Palmer Joss donne du fil à retordre à l’astronome et les deux s’engagent dans de grands débats où ni l’un ni l’autre n’a véritablement le dernier mot. Il n’y a pas de jugement de la part de Sagan, sauf en ce qui concerne les dérives religieuses d’une partie des chrétiens hardcore américains et la manipulation des masses par le pouvoir et c’est en fin de compte au lecteur de définir s’il se reconnaît dans les croyances d’Ellie ou de Palmer, l’auteur finissant par suggérer que celles-ci ne sont pas incompatibles.
Une quête spirituelle qui évite la facilité
Et c’est là, entre autre, ce qui fait pour moi toute la beauté philosophique de Contact: il s’agit d’un roman spirituel dont la spiritualité constitue véritablement la problématique et qui tend à montrer que celle-ci n’est pas nécessairement synonyme de foi religieuse. La spiritualité est cette recherche commune à l’humanité d’un sens à donner à notre vie ; certains trouveront leur vérité dans la religion, d’autres, comme Ellie, dans la science, ou encore dans l’art, etc. Trouver cette vérité en soi-même est la clé et il n’est ainsi pas innocent que la quête de réponses de l’héroïne qui part dans l’espace à la rencontre d’extraterrestres la ramène à sa mythologie familiale, bâtie autour de son père et son enfance.
Pour ceux qui auraient vu le film, je tiens d’ailleurs à préciser que la fin du roman est différente et beaucoup plus riche que dans celui-ci. J’y reviendrai très bientôt dans ma critique à venir du film de Zemeckis que j’ai revu pour l’occasion hier. Pour l’instant, je dirai simplement que, même si celui-ci est touchant et que la scène sur Vega est assez fidèle au roman (en beaucoup plus simpliste et cliché malheureusement dans les dialogues), en faisant de l’héroïne une orpheline dès son enfance et en supprimant ainsi le rôle prépondérant de la mère d’Ellie et de son beau-père, le film ampute l’histoire d’une bonne partie de sa complexité et de sa force émotionnelle finale.
L’auteur évite toute facilité ou lieu commun dans sa réflexion et place la foi en l’humanité, tout simplement, au cœur du roman. On ressent l’émerveillement de l’héroïne (et par là-même de Sagan) face aux étoiles et à l’univers, un émerveillement (parfois vertigineux) que nous sommes si nombreux à partager et Contact est la seule œuvre de fiction que j’ai lue ou vue qui retranscrive et analyse ce sentiment avec une telle justesse.
Un roman de science-fiction de haut vol
Evidemment, Contact, c’est également un roman de science-fiction et du plus haut niveau, à mon humble opinion. Je ne suis pas particulièrement spécialiste en la matière même si j’aime beaucoup ce genre, mais je peux en tout cas dire que le côté scientifique est particulièrement bien mené et détaillé de manière à rendre le signal très plausible. Cela n’est guère étonnant étant donné la formation scientifique de Carl Sagan, astronome et astrophysicien de carrière, qui a largement contribué au SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) pour lequel travaille Ellie dans le roman.
La rigueur de l’auteur le pousse, comme je l’ai dit plus haut, à développer ses données et explications scientifiques de manière très dense dans de nombreux passages, ce qui pourra peut-être en rebuter certains. Mais tout cela est si bien intégré aux enjeux de
l’histoire qu’on ne se désintéresse pas du roman pour autant ; cela n’en rend les longues recherches de l’équipe d’Ellie que d’autant plus passionnantes et crédibles et il ne s’agit pas d’un simple prétexte pour justifier la réception du message et le voyage de l’héroïne dans l’espace.
En parlant de recherches, il faut préciser que celles-ci, ainsi que la construction du vaisseau de technologie extraterrestre qui permettra aux astronautes d’entrer en contact avec les Vegans, occupe (comme dans le film), près des trois-quarts du livre. Pour ceux qui pensent trouver avant tout un roman d’aventures, où la partie spatiale occuperait une large place et comporterait de nombreux rebondissements, il est préférable d’être avertis sur ce point avant d’entamer la lecture. Ce livre intéressera plus particulièrement les personnes qui sont attirées par le côté philosophique et métaphysique de la science-fiction; si vous avez aimé Solaris de Stanislas Lem, vous devriez à priori aimer Contact. Dans la cas inverse (si c’est le côté métaphysique et sentimental du livre en lui-même que vous n’avez pas apprécié), il n’est pas certain que vous accrochiez à celui-ci, bien que les deux romans soient différents, tant du point de vue de l’écriture que de celui des personnages. Quant aux personnes qui ne connaitraient pas bien la science-fiction et auraient peut-être quelques à priori à ce sujet, ne vous laissez pas effrayer: il n’est pas nécessaire d’être familier de ce domaine pour apprécier le roman, qui s’attache avant tout aux personnages et à son fond humaniste et philosophique, dans le bon sens du terme.
S’étalant sur cinquante ans (de la naissance de l’héroïne jusqu’à son voyage), Contact est une fresque d’une finesse et d’une ampleur émotionnelle tout aussi grandes que les nombreuses ramifications de son récit. Une histoire qui nous saisit pour ne plus nous lâcher et nous laisse un profond sentiment de foi en la vie et en l’humain, tout en restant loin de toute utopie naïve. Au-delà de la dimension scientifique, le voyage d’Ellie Arroway change sa vie et sa manière de voir le monde et son rapport aux autres. C’est également ce que ce roman a fait pour moi. J’espère vous avoir donné envie de le lire et, sans en attendre nécessairement la même “révélation”, j’espère qu’il saura vous faire réfléchir, vous faire rêver et vous toucher. Après tout, que demander de mieux à un livre ?