Mardi 12 janvier a eu lieu une rencontre littéraire exceptionnelle avec Boualem Sansal dans les locaux de l’Alliance française autour de son livre 2084. Paru aux éditions Gallimard en juin 2015, le dernier né de l’auteur, 2084 : La Fin Du Monde, a fait sensation, remportant le grand prix de l’Académie Française 2015, ainsi que le prix du meilleur livre de l’année 2015 du magazine Lire. Mais il a également fait polémique, provoquant de nombreux débats car il traite d’un sujet tristement d’actualité : le totalitarisme religieux. Profitant de la nouvelle dynamique culturelle de l’Alliance Française, cette rencontre fut l’occasion de faire un retour sur les nombreux écrits de Boualem Sansal, depuis Le serment des Barbares en 1999 jusqu’à aujourd’hui.
Un premier fait assez cocasse à souligner est celui du prénom de l’écrivain : « Boualem » signifie porte-drapeau, ce qui lui convient parfaitement lorsque l’on sait l’impact que ses livres ont eu que ce soit dans son pays, l’Algérie, ou en France. Lui-même est d’ailleurs surpris de son succès, il est venu à la littérature jeune mais ayant commencé à écrire tardivement il ne pensait pas qu’un jour ses livres seraient non seulement publiés mais surtout appréciés.
Les questions abordées, dans 2084 : La Fin Du Monde, sont transverses à toute son œuvre, depuis Le serment des Barbares qui eut un retentissement considérable, bien que Boualem Sansal l’ai envoyé anonymement à l’éditeur Gallimard, envisageant même de le faire publier sous pseudonyme. Cet ingénieur de formation travaillant au sein du gouvernement algérien s’est intéressé à l’écriture après l’indépendance algérienne, car la littérature est alors devenue un passe-temps bourgeois. Lorsque la guerre civile éclatera, il se demande quelle position adoptée, en tant que haut fonctionnaire mais surtout en tant que membre de la société civile (doit-on passer du côté des militaires, attendre que cela passe, quitter le pays…). A la recherche de solution, Boualem Sansal se rapproche de groupes de réflexion pour essayer de « comprendre » cette guerre civile. C’est à ce moment là qu’il met en place un nouveau vocabulaire qui le suit aujourd’hui encore, ses livres regorgeant d’une forme de « novlangue » lui permettant de porter la dure réalité algérienne des années 90 à l’Occident. Il participe à l’écriture du Livre noir de la torture qui sera rejeté par les institutions internationales. Déçu par ce premier échec, Boualem Sansal se tourne vers l’écriture afin de poser des mots sur la situation et chercher des solutions.
A partir de ses différentes recherches, il considère qu’il faut rejeter la thèse de la violence causée par la misère : elle est diffuse, faisant partie de toutes les sociétés ; à un certain stade elle devient « magique », elle happe les gens et les emporte hors des sociétés. Suite à l’engagement de Boualem Sansal, il perd son emploi et va se consacrer à l’écriture, publiant son premier roman en 1999. Malgré de nombreuses craintes, il ne se passe rien de particulier, Bouteflika est arrivé au pouvoir et la fin de la guerre civile approche. Mais quand les Algériens lisent son livre ils le prennent très mal, se rendant compte que ça n’est pas un roman mais une suite de réflexions pour « sauver » l’Algérie. Boualem Sansal ne recommande d’ailleurs pas Le serment des Barbares, c’est dire !
Après ce premier retour sur les débuts de l’auteur, Boualem Sansal a abordé sa façon d’écrire : chaque roman part d’éléments réels. Harraga met en scène deux femmes que tout oppose mais pourtant inspirées de deux personnes que l’auteur a côtoyé ; il a souhaité abordé la double dictature qui pèse sur les Algériennes, le pays et la famille. Dans Le village de l’Allemand, il raconte l’histoire vraie de cet ancien général SS devenue héros de l’indépendance algérienne. Ce roman sera d’ailleurs censuré en Algérie à cause de son parallèle entre islamisme et nazisme, le premier étant un thème que l’on retrouve tout au long de l’œuvre de Boualem Sansal.
Cette rencontre fut riche en apprentissage à la fois sur le processus d’écriture mais aussi sur les thèmes abordés dans les précédents romans de Boualem Sansal. L’islamisme et le totalitarisme sont les points de départ de 2084, roman dans lequel rien n’est vrai (les lieux, personnages etc…) mais dans lequel nous reconnaissons pourtant tout, un discours politique mais également une épopée dans un monde tristement réaliste. Nous reviendrons plus précisément sur 2084 : La Fin Du Monde dans quelques jours.