En abordant le très bon Halabeoji, nous avions débuté notre exploration du travail de L’Asiathèque par le deuxième livre de la collection “Liminaires”. Cette dernière a pour but de nous présenter des textes d’ici, via une plume occidentale, et d’ailleurs, puisque le sujet est une contrée asiatique. La culture par la diversité, voilà un sujet intéressant, et il nous fallait absolument vérifier si Une Tablette Aux Ancêtres, la première nouvelle de la collection, est elle aussi d’un grand intérêt.
Une Tablette Aux Ancêtres, tout comme Halabeoji, met en scène son auteur, Stéphane Corcuff, dans une situation précise, lors d’un morceau de vie passé dans un pays asiatique. Ici, c’est Taïwan qui nous intéresse, et plus exactement les croyances de ce pays finalement très méconnu. L’auteur, au cours d’une balade dans le Sud de Taïwan, découvre une maison abandonnée depuis bien des années. À l’intérieur, l’explorateur improvisé tombe nez à nez avec une tablette funéraire, qu’il décide de ramener avec lui. Cet acte va enclencher des réactions, de la part de son entourage mais aussi de sa propre raison. En effet, plus il se fait à la présence de cette tablette, plus il se pose des questions sur la foi des autochtones, mais surtout il s’imagine le passé des âmes honorées : deux familles, les Tao et les Yu. Cet acte culturel comporte une telle profondeur mystique que Stéphane Corcuff finira par être adopté par ces ancêtres inconnus, le tout sous l’œil bienfaiteur du temple Shandao.
Avec Une Tablette Aux Ancêtres, Stéphane Corcuff fait découvrir bien des facette de la culture taïwanaise. Pas par le prisme de l’objet, du solide, aucun business ici, mais plutôt en captant avec bonheur l’âme du pays. Pas de cinéma, pas de littérature, mais une tablette funéraire dont la présence, immobile et muette, suffit pour capter plusieurs éléments. Tout d’abord, le rapport aux morts est évident, c’est le thème dominant et il est traité comme tel. Mais, comme souvent, c’est ce que le propos en premier plan provoque qui se révèle le plus intéressant. Ainsi, ce sont bel et bien les effets de ce fragment de vie sur Stéphane Corcuff qui impactent véritablement. L’évolution de l’auteur-personnage est évidente, depuis le “simple” Français en long séjour à Taïwan, il termine son parcours en étant adopté par les ancêtres de la tablette. Mais c’est surtout l’acceptation, de sa part envers la culture du pays, qui rend ce texte si touchant.
Une Tablette Aux Ancêtres surprend de bien des manières. On a tous cette idée reçue comme quoi la domination de l’empire Nippon se serait mal passée partout. Alors que, en fait, la nostalgie de ces années Japonaises (de 1895 à la reddition de 1945) est bien plus heureuse que celle de la domination Chinoise, bien plus brutale en fin de compte. Les destins brisés par ce Communisme forcené ont, eux, tout l’intérêt du peuple, et c’est pourquoi cette tablette provoque autant de respect. Aussi, le dernier tiers de la nouvelle nous montre une approche de la foi très agréable, évitant avec bonheur les habituels clichés sur les religions. Soeur Wang laisse une impression aimable, plaisante, et ça fait du bien, ça apaise.
Au niveau du style, Stéphane Corcuff nous surprend par sa capacité à romancer son vécu, tout en restant fidèle au réel. On dévore Une Tablette Aux Ancêtres comme on lit un récit, avec une narration qui évite le trop-plein de détails, danger numéro un de ce genre d’exercice. C’est une réussite, donc, qui n’oublie pas d’aller au bout de son sujet, grâce à une petite dizaine de pages, titrées “Quelques éclairages culturels et historiques”, où vous pourrez en savoir un peu plus sur certains sujets. Chacun de ceux-ci sont accompagnés du conseil d’un livre à se procurer, histoire de perfectionner nos connaissances.
Au final, Une Tablette Aux Ancêtres confirme la très bonne impression laissée par la collection Liminaires de L’Asiathèque. Cette nouvelle, assez longue pour ne pas survoler son sujet tout en amoindrissant le risque d’un trop plein d’informations, donne de quoi penser, tout en faisant un peu la lumière sur cet endroit qui gagne à être mieux connu qu’est Taïwan.
Une Tablette Aux Ancêtres, écrit par Stéphane Corcuff. Aux éditions L’Asiathèque, collection Liminaires, 70 pages, 8 euros.