Caractéristiques
- Auteur : Eliette Abécassis (texte) & Benjamin Lacombe (illustrations)
- Editeur : Flammarion Jeunesse
- Date de sortie en librairies : 27 septembre 2017
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 180
- Prix : 25€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Sorti fin septembre chez Flammarion Jeunesse (Les yeux du dragon, Dragon de glace…) en pleine rentrée littéraire, L’ombre du golem d’Eliette Abécassis et Benjamin Lacombe (Alice au pays des merveilles, Facéties de chats…) est un roman illustré singulièrement différent de ce que la romancière agrégée de philosophie et le célèbre illustrateur ont pu faire auparavant. Pour une raison très simple : cette histoire aurait dû donner lieu à un long-métrage d’animation. Malheureusement, le projet, lancé en 2009, n’aboutit pas faute de moyens et les auteurs – qui ne désespèrent pas pour autant qu’il puisse renaître de ses cendres – se tournent alors vers leur médium privilégié, le livre, pour raconter leur version de la légende du golem, cette figurine de boue idiote et violente contrôlée par l’homme qui lui a donné la vie, et qui traverse de nombreux textes et contes folkloriques (y compris chez les Frères Grimm) depuis le XVIe siècle.
Une légende qui a su traverser le temps
Plus précisément, la fable d’Eliette Abécassis et Benjamin Lacombe s’appuie sur la légende du golem de Prague, dont le récit se déroule au XVIe siècle, mais qui serait apparue au XIXe siècle selon les historiens.
L’histoire telle que la content les différentes sources est la suivante : pour lutter contre les nombreux pogroms qui se déroulaient dans le ghetto de Varsovie sous Rudolf II, le Maharal de Prague aurait donné la vie à une figurine de boue à travers un rituel complexe et en apposant sur son front le terme hébreux signifiant « vérité ». Le but ? Lancer ce géant sans cervelle mais docile et obéissant envers son maître, contre les persécuteurs de la population juive afin de la protéger.
Lorsque le Maharal perd le contrôle de la créature (pour des raisons différentes en fonction des versions), il retire la lettre aleph de son front afin de le désactiver, les deux autres lettres formant alors le mot « mort ». Le Golem aurait alors été entreposé en secret dans le grenier de la synagogue Vieille-Nouvelle, dans le cas où l’on aurait de nouveau besoin de ses services.
Par la suite, cette figure légendaire s’est progressivement infiltrée au cœur de la culture populaire, au-delà des textes religieux et du folklore. On le retrouve dans de nombreux romans, des comics, films, séries télé (comme le Sleepy Hollow de la Fox, en 2013), où il n’est pas toujours entièrement lié à l’histoire du peuple juif. Véhicule idéal pour élaborer des récits métaphoriques, la force du symbole qu’il représente lui permet d’accéder au statut de mythe et de traverser le temps grâce à de régulières actualisations. Eliette Abécassis et Benjamin Lacombe reviennent ici sur la légende de Prague avec une double visée, si l’on peut dire : dénoncer l’antisémitisme qui a connu un regain ces dernières années, mais aussi mettre en garde la jeunesse contre la séduction d’une technologie omniprésente, qui peut représenter une dépendance et n’incite pas forcément à réfléchir.
Une machine humaine ?
Ainsi, si l’histoire de L’Ombre du Golem se déroule à Prague il y a plusieurs centaines d’années et est écrite dans un style intemporel, Eliette Abécassis décrit clairement la créature comme une machine. Lorsque la jeune héroïne, Zelmira, la fille adoptive de l’alchimiste, demande au Maharal si le golem est intelligent comme un homme, celui-ci lui répond : « Oh non, intelligent comme une machine ! » La petite fille lui demande alors si les machines sont moins intelligentes que les hommes, et sa réponse est sans appel : « Les machines, Zelmira, peuvent être plus intelligentes que les hommes. Mais elles n’ont pas de conscience ».
Le Golem se contente d’exécuter sans broncher ce qu’on lui ordonne de faire, mais il ignore au fond pourquoi il obéit et quelles sont les raisons de ces ordres. Zelmira s’attache à ce grand géant qui l’intrigue, comme un enfant prendrait goût à un ordinateur ou une tablette, qui lui montre en un instant tout ce qu’il souhaite voir. Mais les machines, qu’elles soient de terre ou de métal, ne sont jamais entièrement fiables, et leur contrôle finit toujours pas nous échapper…
A ce moment-là, pour faire face à la situation, on ne peut compter que sur la conscience humaine. Certains des personnages de L’Ombre du Golem en sont dépourvus (comme le méchant moine Thadée), d’autres sont lâches et vaniteux (Rudolf II) et même ceux faisant preuve de bonté (les parents adoptifs de Zelmira) peuvent se montrer faillibles et se comporter de manière discutable. Mais, bien entendu, il y a également bonté et courage en l’humanité, et le roman, sans tomber dans le happy-end, se montre plutôt optimiste en la matière. Par ailleurs, comme dans le cas du Frankenstein de Mary Shelley – inspiré par une citation du Paradis Perdu de John Milton faisant référence à Adam comme « l’homme de terre » de Dieu – les auteurs humanisent progressivement le Golem, prénommé Joseph, afin d’interroger notre propre conception de l’humanité.
Deux auteurs en osmose autour d’un sujet fort
Le résultat est aussi fort qu’attachant, autant grâce à la plume simple et précise à la fois d’Eliette Abécassis qu’aux illustrations de Benjamin Lacombe, plus sombres qu’à l’accoutumée. Les dessins, tout en contrastes, alternent entre crayonnés noir et blanc et peintures couleur en double-page. Ils représentent environ 1/5e du livre. Si L’Ombre du Golem raconte l’amitié improbable entre la créature et Zelmira, la tragédie historique qui sert de toile de fond au récit rendait cette mise en images délicate ; on aurait difficilement imaginé, en effet, un univers trop coloré ou fantaisiste.
Tout en conservant son style inimitable, l’illustrateur a alors cherché à représenter l’horreur de la situation à travers le regard de son héroïne, sans montrer l’indicible. Cela donne alors le dessin très symbolique où deux enfants-squelettes veillent sur le sommeil de Zelmira (p. 31) ou encore celui où la petite fille regarde par la fenêtre l’incendie qui ravage le ghetto (p. 36). Une autre, où le Maharal tient conseil à la synagogue avant la création du Golem, évoque la peinture par le travail effectué sur la lumière et la couleur, et se révèle une vraie leçon de composition avec ses silhouettes floues en premier plan, confirmant si besoin était le talent de Lacombe pour créer une ambiance palpable.
Outre des personnages toujours aussi expressifs, on retrouve également des illustrations plus lumineuses représentant une vue de Prague à hauteur d’oiseaux, certaines plus proches du conte ou de la fable, et d’autres, enfin, faisant davantage référence à un imaginaire fantastique, gothique. En ce qui concerne l’attachement de Zelmira pour le Golem, il fonctionne d’autant mieux que Benjamin Lacombe fait de lui un géant d’argile dont le regard doux et naïf inspire la gentillesse, bien qu’il puisse également se montrer monstrueusement effrayant. Si la sobriété est ici de mise, il ne faut donc pas voir ce parti pris comme une facilité de la part de l’artiste : il y a là une vraie cohérence, un vrai travail de construction, de composition d’un bout à l’autre. Le dessin ne se substitue pas au texte, mais l’accompagne, le complète ; de même, il serait difficile d’imaginer L’Ombre du Golem sans les illustrations de Lacombe. L’un et l’autre sont indissociables et l’alchimie entre les deux auteurs perceptible.
Par ailleurs, le texte elliptique, au phrasé quasi-musical d’Eliette Abécassis, permet au lecteur de se projeter d’autant plus facilement au sein de l’intrigue, en faisant fonctionner l’imagination des enfants comme des adultes. Réduit à sa forme la plus simple, la fable des auteurs se prête particulièrement bien au récit oral, qui fut pendant longtemps la seule manière de faire subsister l’histoire et le folklore des peuples.
A travers L’Ombre du Golem, c’est donc toute une mémoire qui s’exprime, sous la forme d’un conte où « l’Histoire avec sa grande hache », pour reprendre la formule de Georges Pérec, laisse malgré tout filtrer l’espoir. Un espoir qui est ici incarné, non pas tant par le Golem que par la jeunesse, à travers la jeune Zelmira, tout aussi curieuse et sensible que l’Alice dessinée par Benjamin Lacombe pour les belles éditions illustrées des romans de Lewis Carroll chez Soleil. Le géant d’argile lui, est à l’image de la technologie moderne dont il est en partie la métaphore : il est ce que nous en faisons.