Caractéristiques
- Traducteur : Diniz Galhos
- Auteur : Irvine Welsh
- Editeur : Au Diable Vauvert
- Date de sortie en librairies : 5 avril 2018
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 362
- Prix : 22€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 6/10 par 1 critique
Un nouvel homme, Begbie ?
Quinze ans après Porno, la suite de Trainspotting (adaptée à l’écran l’an dernier par Danny Boyle), voilà que nous retrouvons Frank Begbie en époux et père de famille modèle en Californie, où il mène une vie de rêve dans une belle maison. Comment le tueur ravagé que nous pensions si bien connaître a pu changer à ce point pour devenir Jim Francis, célèbre sculpteur dont les stars hollywoodiennes s’arrachent les oeuvres ? Voilà la question que pose dès le départ L’artiste au couteau, paru ce printemps en France Au Diable Vauvert (Contes du soleil noir, Calme comme une bombe…) pile au moment où son auteur, Irvine Welsh (dont nous vous proposons l’interview ici), publiait dans les pays anglo-saxons sa suite directe, Dead Men’s Trousers. Or, si Begbie semble être parvenu à maîtriser ses pulsions en les laissant s’exprimer dans son oeuvre et que sa vie semble désormais idyllique, quelque chose nous indique assez vite que les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît. Du coup, lorsque Franco apprend que son fils aîné a été tué à Edimbourg dans des circonstances mystérieuses et qu’il décide de se rendre à ses funérailles, le lecteur sait que ce n’est qu’une question de temps avant que le vieux Frank Begbie ne fasse son grand retour… La question étant de savoir quand et comment.
En partant sur ces bases, L’artiste au couteau tient assez bien ses promesses : on y retrouve la dimension psychologique qui fait tout le sel de l’oeuvre d’Irvine Welsh, et un solide sens du suspense, avec une tension constante. La manière dont l’auteur nous fait sentir progressivement que l’ancien Begbie est toujours présent sous la surface est intéressante et maintient véritablement le lecteur en haleine. Là où un autre écrivain aurait pu céder à la facilité et tomber dans un certain manichéisme, Irvine Welsh parvient véritablement à nous vendre la réhabilitation de Begbie, en commençant par nous montrer qu’il a réellement changé, et évolué dans sa vision des choses. Néanmoins, comme dans la vie, les choses sont rarement toutes blanches ou toutes noires, et on se rend compte peu à peu que la noirceur qui habitait l’Écossais ne l’a pas forcément tout à fait quitté : il ne manque qu’une étincelle pour rallumer la mèche. Certains passages brillent ainsi par leur manière de mettre en lumière les paradoxes du personnage, homme véritablement amoureux de sa femme et dingue de ses filles, qui a été capable de prendre du recul sur son éducation, se lier d’amitié avec un couple gay alors qu’il était profondément homophobe, mais qui, pourtant, brûle de laisser la violence en lui s’exprimer pleinement. Il ne lui manque qu’une excuse. Et un plan suffisamment carré pour ne pas se faire prendre, cette fois.
De ce point de vue-là, L’artiste au couteau est passionnant : nous ne suivons plus un type un peu fou qui tue des gens sur le coup d’une crise subite, mais un homme d’autant plus dangereux qu’il est capable de tromper son monde tout en se montrant en partie sincère. Du coup, si le lecteur sait que l’intrigue ne peut que s’achever par un bain de sang, il est assez difficile de savoir quand la situation va véritablement déraper et de quelle manière. S’ajoute à cela un autre élément de suspense autour de l’identité du meurtrier de Michael, qui apporte une certaine dose de mystère à l’ensemble.
Une intrigue psychologique intéressante pour une fin en demi-teinte
Cependant, la résolution (que nous ne révèlerons évidemment pas) nous a paru peut-être un brin mollassonne. Non pas parce-qu’il n’y aurait pas assez d’hémoglobine, mais parce-que la solution de l’énigme apparaît un brin simpliste. La matière tragique est bel et bien là, mais cette révélation n’a au final qu’un impact assez limité, aussi bien sur le lecteur que sur le personnage, malgré la réflexion autour de la masculinité qui s’en dégage. Cela est assez dommage même si, en fin de compte, la dimension « policière » de l’intrigue apparaît comme très secondaire : ce qui compte véritablement ici, c’est Begbie, qui est une énigme à lui tout seul.
Du coup, sans être l’un des meilleurs romans de Welsh, L’artiste au couteau reste un divertissement plaisant, proposant un portrait complexe d’un homme partagé entre lumière et ténèbres. Un roman à mi-chemin entre la veine réaliste de la première partie de l’oeuvre de l’auteur — la dimension sociale en moins — et celle, bien plus burlesque et surréaliste, à laquelle appartient son précédent livre, l’excellent La vie sexuelle des soeurs siamoises.