Caractéristiques
- Auteur : Yoan Smadja
- Editeur : Belfond
- Collection : Pointillés
- Date de sortie en librairies : 4 avril 2019
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 284
- Prix : 17€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Un premier roman remarquable sur le génocide des Tutsi au Rwanda
Raconter l’horreur n’a jamais été chose aisée, mais, parce-que la littérature peut convoquer des images sans les montrer, elle s’est souvent attachée à ce sujet, avec souvent à la clé, des oeuvres fortes, comme en témoignent les nombreux romans consacrés à la Seconde Guerre Mondiale.
Cependant, le génocide des Tutsi au Rwanda reste un sujet rare. Probablement parce-que les relations entre Tutsi et Hutu — deux ethnies pourtant proches par bien des aspects — sont complexes. Sans doute aussi parce-que la France, comme beaucoup d’autres, a fermé les yeux sur le massacre et que cet épisode relativement récent (tout juste 25 ans) est loin d’être glorieux pour nous.
Yoan Smadja signe avec J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi son premier roman, ce qui est d’autant plus remarquable. Il livre avec cette oeuvre un récit fort, poignant, ultra-documenté, dont la lecture fait surgir une émotion profonde et durable.
Au-delà de la minutie avec laquelle les faits sont relatés — et le contexte politique expliqué de manière claire — au-delà de la dénonciation de la démission de la communauté internationale, l’auteur insuffle un élan de vie bouleversant à son récit à travers ses personnages principaux : Rose, Daniel et Sacha. Ce même élan que les Hutu ont voulu briser, mais qui résiste malgré tout. Un élan qui poussera la journaliste française Sacha à se reconvertir dans la critique gastronomique après le massacre auquel elle a assisté. Et puis cette odeur de la vanille du riz au lait qui revient comme un fil rouge, auquel le personnage de Rose, jeune mère Tutsi, essaie tant bien que mal de se raccrocher…
Un tourbillon d’émotions porté par des personnages forts
J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi est un tourbillon d’émotions qui nous entraîne, sans jamais tomber dans les écueils du genre. Pas de personnages cliché, ni de passages tire-larmes ou d’indignation facile. Les passages les plus durs du roman font l’effet d’un coup de poing, tout en communiquant au lecteur l’état de sidération des personnages.
Et puis, au delà de la peinture détaillée des faits, ce premier roman est aussi une oeuvre romanesque forte, solidement construite, avec des personnages auxquels l’on s’attache, à commencer par Rose et Daniel, le couple Tutsi séparé par les événements, et qui essaie de se retrouver. Le roman alterne entre le journal de Rose, qui écrit pour survivre, et le point de vue de Sacha, témoin occidental impuissant face à l’horreur, qui tente en vain de se servir de sa plume pour décrire l’indicible.
Cette question de parvenir à dire l’horreur, Yoan Smadja s’en saisit à bras-le-corps, sans apporter de réponse facile. L’urgence de vivre, la nécessité de dire, le silence face à l’innommable sont au coeur du livre, avec une justesse de chaque instant.
Malgré la dureté du sujet et le sentiment d’horreur qui se dégage de plusieurs passages (notamment celui dans l’église), c’est bien cet incroyable élan de vie qui émane de J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi qui bouleverse autant, jusque dans sa poignante conclusion. Le sentiment de gâchis est bien là — le massacre aurait pu être évité ou du moins limité avec une intervention de la communauté internationale — mais l’oeuvre de Yoan Smadja sait également parler de résilience et réconcilier ses personnages avec leur histoire. En ce sens, ce roman effectue un travail de mémoire dont nous avons bien besoin, à l’heure où le massacre des Peuls au Mali se déroule dans une quasi-indifférence.