Caractéristiques
- Traducteur : Marc Logé
- Auteur : Lafcadio Hearn (nouvelles), Benjamin Lacombe (illustrations)
- Editeur : Soleil
- Collection : Métamorphose
- Date de sortie en librairies : 27 novembre 2019
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 194
- Prix : 29,95€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 9/10 par 1 critique
Benjamin Lacombe illustre les nouvelles de Lafcadio Hearn
Après s’être attelé à des classiques de la littérature comme les deux Alice de Lewis Carroll (Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir), Notre-Dame-de-Paris de Victor Hugo, Carmen de Prosper Mérimée ou encore les nouvelles d’Edgar Allan Poe (Les contes macabres, en deux volumes), Benjamin Lacombe illustre cette fois-ci, avec Histoires de fantômes du Japon édité aux éditions Soleil, un recueil de nouvelles inspirées des légendes de fantômes japonais, les yokai, écrites à la fin de sa vie par Lafcadio Hearn, traducteur en anglais de Flaubert, Anatole France, Victor Hugo, Guy de Maupassant ou encore Emile Zola.
Né en Grèce et élevé en Irlande, Lafcadio Hearn (1850-1904) était un journaliste et auteur ayant vécu de longues années dans la pauvreté et la solitude suite au rejet de sa famille et à un premier mariage avec une métisse à une époque où les unions mixtes étaient interdites. Après avoir beaucoup voyagé, notamment en Martinique, il accepte l’invitation de l’un de ses amis, ambassadeur du Japon, et s’installe au pays du Soleil Levant. Il devient alors correspondant, épouse une Japonaise avec laquelle il aura plusieurs enfants, et se lance dans l’écriture de nouvelles inspirées des contes traditionnels sur les yokai. C’est de ces oeuvres qu’est tiré le présent recueil.
De superbes contes inspirés des légendes de yokai
Histoires de fantômes du Japon se compose de 10 nouvelles et d’une annexe composée de jeux tels qu’on pouvait en trouver dans les journaux nippons vers la fin de l’époque Edo. Il s’agit de jeux inspirés des légendes de yokai et reprenant le style des célèbres estampes japonaises. Benjamin Lacombe les revisite ici avec brio, et nous propose notamment deux jeux de l’oie japonais.
En ce qui concerne ce très beau recueil à proprement parler, chacun des récits qui le compose apporte une vision différente des fantômes. Contrairement à la culture occidentale, les yokai paraissent presque « intégrés » au monde des vivants. Ils se trouvent « de l’autre côté du voile », mais, par leur apparition dans des lieux naturels (la mer, la forêt, la montagne, la campagne…) et une tradition très ancrée, ils n’apparaissent pas aussi menaçants que nos fantômes. Il n’est alors pas étonnant que les protagonistes des différentes histoires ne soient pas toujours plus surpris que ça de les rencontrer tant ils se mêlent aux vivants.
Les fantômes japonais sous toutes leurs formes
Il existe différents types de yokai, certains pacifiques, certains clairement associés à des divinités, et d’autres enfin (à l’image des rokuro-kubi), sanguinaires. Le choix des nouvelles du recueil illustre bien cette variété, et nous donne un aperçu passionnant de la manière dont la culture japonaise voit la mort.
A travers Le songe d’un jour d’été et La légende du village des joueurs de Koto, c’est une vision très romantique et mélancolique à la fois qui se dégage : le héros tombe amoureux d’une femme yokai — une divinité de la mer dans le premier cas, le fantôme d’une fille de samouraï dans l’autre — et, une fois revenu dans le monde des vivants, reste tellement hanté par cette vision qu’il ne peut que succomber. Ce type de fantôme est bon et bienfaisant, mais condamne malgré tout involontairement l’objet de son désir.
Egalement bienfaisants, les yokai-chats du Gamin qui dessinait des chats, nés de l’imagination d’un jeune artiste qui leur donne littéralement vie.
Parmi les créatures malfaisantes, l’ikiryô (Le magasin de porcelaine hanté par la haine) est un cas intéressant, puisqu’il ne s’agit pas d’un défunt, mais d’une entité maléfique créé par la haine ressentie par une personne vivante à l’encontre d’une autre. Ce type de yokai va alors hanter sa victime jusqu’à son trépas… à moins que la haine ne cesse.
Enfin, on a rarement fait plus terrifiant que les rokuro-kubi (Le fantôme à la tête coupée), des fantômes dont les têtes, séparées de leurs corps, volent dans les airs à la recherche de chair fraîche à dévorer.
Il serait fastidieux d’analyser ici chacune de ces dix nouvelles tant elle sont d’une richesse évidente. On peut en tout cas dire qu’on aura rarement vu un auteur européen saisir la culture japonaise avec une telle finesse et une telle sensibilité. D’ailleurs, au-delà du lien avec les légendes, Lafcadio Hearn fait ici montre d’un talent de conteur exceptionnel, avec un style fluide et une apparente simplicité qui sont souvent la marque des récits universels dont font partie les contes, mais aussi les légendes.
Un superbe travail d’illustration inspiré (notamment) des estampes japonaises
En ce qui concerne les illustrations, Benjamin Lacombe réalise ici l’un de ses travaux les plus forts de ces dernières années avec Frida et les deux Alice. Comme toujours, on reconnaît sa patte distinctive et la qualité de son travail sur la composition et la couleur, mais plutôt que de tirer le sujet vers son style, il est évident ici qu’il s’est nourri des texte de Hearn et de la culture et de l’art pictural japonais. L’influence des estampes est ici particulièrement remarquable sur les illustrations de l’illustrateur français, qui nous offre des dessins et peintures formidablement oniriques, qu’on prendra grand plaisir à admirer de nouveau après avoir lu le livre d’un bout à l’autre. En tout, c’est plus de 26 peintures en pleine page que l’on découvre, ainsi que de nombreux dessins en marge du texte.
Ce formidable travail d’illustration trouve un très bel écrin grâce au travail exemplaire des éditions Soleil, qui nous offrent une édition de très grande qualité : volume relié avec une couverture et un dos en partie toilés où les yokai apparaissent en bleu brillant, volets illustrés transparents en page de garde et en fin de volume, soin de la mise en page… Si vous appréciez le travail de Benjamin Lacombe et/ou les albums de la collection Métamorphose, il s’agit sans conteste d’un ouvrage à ajouter à votre collection.
Voilà donc l’un de nos gros coups de coeur de cette année 2019 : non seulement Benjamin Lacombe nous propose un autre très bel exemple de son travail, mais il nous permet également de découvrir un auteur assez peu connu du grand public, et à travers lui, la beauté des légendes de fantômes japonais, d’une rare poésie.