Caractéristiques
- Titre : George Sand, Fille du siècle
- Auteur : Séverine Vidal (scénariste), Kim Consigny (dessin)
- Editeur : Delcourt
- Collection : Encrages
- Date de sortie en librairies : 28 avril 2021
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 344
- Prix : 24,95€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Les Éditions Delcourt ont publié cette année une biographie en bande-dessinée de l’écrivaine du XIXe siècle George Sand. C’est-à-dire d’Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, romancière, dramaturge, épistolière, critique littéraire et journaliste, engagée dans la défense des droits humains et plus particulièrement ceux des femmes. Il fallait bien plus de 300 pages bien denses, mais vivantes, pour faire le récit de sa vie et de ses engagements. Dans un entretien publié sur le site des Éditions Delcourt, la scénariste de George Sand, Fille du siècle raconte ce qui l’a conduit à vouloir raconter sa vie, s’engageant dans 18 mois d’écriture de plus de 300 pages de bande-dessinée :
« J’ai eu un coup de cœur pour cette femme indépendante et peu soucieuse du regard des autres, qui décide ce qui est bon pour elle et fonce. Dans une société où les femmes sont associées dans le Code civil aux mineurs, aux criminels et aux « débiles mentaux », elle a réussi à faire exploser les carcans, à se séparer de son mari, à conserver son domaine, à vivre de sa plume. J’ai été touchée par cette femme entre deux mondes, aux deux sangs mêlés, aristocrate par son père, plébéien par sa mère, et qui s’est toujours placée du côté du peuple. »
Séverine Vidal
Raconter la vie de George Sand : une urgence ?
On a souvent dépeint George Sand dans les manuels de littérature comme une femme dans un monde d’hommes. De fait, raconter la vie de l’écrivaine, c’est faire le portrait des hommes qui gravitaient autour d’elle : d’abord ses relations amoureuses, avec le poète Alfred de Musset et le compositeur Frédéric Chopin notamment, mais aussi les portraits de ses confrères et parfois amants (Prosper Mérimée), ses amis (Lamartine, Delacroix, Dumas fils, Flaubert) ou ennemis (dont Baudelaire qui la traitait de « latrine »). La dessinatrice de la bande-dessinée George Sand, Fille du siècle témoigne :
« C’est une figure très forte, et, en y repensant des années après, je suis très choquée (mais pas très étonnée…) qu’on ne m’en ait parlé qu’une seule fois dans ma scolarité (j’ai pourtant un bac L !), au collège, pour la mentionner comme « une femme qui écrivait et qui avait été la maîtresse d’Alfred de Musset ». Ça en dit long sur la place qu’on accorde aux femmes dans l’Histoire. »
Kim Consigny
Mais raconter la vie de George Sand, c’est aussi raconter son histoire familiale, son expérience du mariage et ses relations avec les femmes, dont sa grand-mère paternelle, sa mère et sa propre fille avec lesquelles elle eut des relations souvent conflictuelles. George Sand, Fille du siècle est aussi, à ce titre, le récit long, foisonnant mais touchant d’une famille, dans ses unions et ses déchirements. Avec ses larmes et ses éclats de rire. Ses premiers et derniers pas.
EDIT (18/12/21) : Nous avons publié un article analysant les difficultés de raconter la vie de George Sand.
Raconter la vie de George Sand, c’est aussi permettre aux lectrices et lecteurs de comprendre comment il pouvait être possible pour une femme du XIXe siècle d’assumer ses désirs et ses rêves dans sa vie et ses fictions. Une femme qui a remué ciel et terre pour conserver la garde de ses enfants ou de sa petite-fille, à une époque de pères tout-puissants. Une femme sollicitant les autorités du Second Empire pour obtenir l’amnistie des opposants au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte « le petit ». Une femme créant une revue où les prolétaires pouvaient exprimer leurs idées.
Une femme qui n’était donc pas seulement l’écrivaine au nom et aux vêtements d’hommes dont les manuels de français ont gardé l’image. Car, en vérité, noms et vêtements d’homme n’étaient que les signes extérieurs de sa libération. On (re)découvre dans la biographie dessinée George Sand, Fille du siècle que ses œuvres nombreuses étaient à la fois son moyen d’expression personnel, son gagne-pain pour elle et toute sa famille, mais aussi des graines d’idées qu’elle pouvait largement semer grâce à la production en masse de livres. Des idées qui s’incarnaient par des actions sociales et politiques concrètes.
« Il n’était pas du tout évident pour une femme à cette époque de devenir écrivaine, d’en faire un métier. Le « métier-passion », c’est quelque chose qui résonne fortement aujourd’hui. Le statut des artistes auteurs reste compliqué, et il faut encore se battre pour être reconnu.e comme un.e professionnel.le à part entière, notamment auprès du ministère de la Culture. »
Kim Consigny
EDIT (18/12/21) : Nous avons publié un article consacré aux idées politiques et sociales de George Sand.
Raconter une vie en 300 pages dessinées
Avant d’entrer dans le cœur de l’œuvre et donc de cette critique (comment raconter la vie de George Sand), parlons de suite du dessin. Car il s’agit d’un gros livre de plus de 300 pages, certes, mais d’une bande-dessinée, dessinée avec une certaine candeur par Kim Consigny. Candeur, car son dessin a souvent la légèreté de quelqu’un qui entreprend une tâche aussi conséquente sans sembler se préoccuper de tout ce qui devrait compromettre sa réalisation. Mais pas sans réflexion.
Je crois qu’il faut cette sorte de candeur pour venir à bout d’un tel projet : car s’il est relativement facile de se lancer, il est plus difficile d’avancer, surtout lorsque les repentirs s’accumulent et forcent à refaire des pages et des pages ! « J’ai mis un gros coup de collier pendant le premier confinement et j’ai fait toute la deuxième moitié du storyboard entre début mars et fin avril » raconte la dessinatrice, qui ajoute :
« Ensuite, j’ai passé six mois non-stop à dessiner les 310 planches finales… Là, ça a été dur. C’était vraiment un énorme boulot, mais j’étais heureusement bien entourée. Séverine était super motivante et présente, c’était rassurant pour moi qui doutais souvent de la qualité de ce que je faisais. J’avais peur de m’être lancée dans quelque chose de trop grand pour moi, peur de ne pas être prête… »
Combien de temps aurait-il fallu à Edgar Pierre Jacobs pour venir au bout de ces 300 et quelques planches, lui qui redessinait ses crayonnés sur ses calques, encore et encore?…
Certes, le travail de Kim Consigny n’est pas sans défauts, dont certains sont sans doute imputables au scénario trop dense. Certaines planches manquent d’espaces où l’œil peut se reposer. D’autres manquent d’ellipses qui auraient permis de condenser certains moments, soit en coupant des passages, soit en regroupant des répliques dans une seule case pour mieux jouer avec les rapports entre espaces et temps spécifiques à la BD (une case étendue en longueur peut ainsi servir à un échange de répliques). Certains dessins semblent étriqués et il ressort que le trait de Kim Consigny s’épanouit mieux lorsque les bordures des cases disparaissent et n’étouffent pas le dessin.
Dans les planches muettes qui ponctuent le livre, le personnage dessiné respire pleinement grâce au talent de sa créatrice. Car les défauts que j’ai pointés ne sont que peu de choses en comparaison de la vie que Kim Consigny insuffle à son long récit grâce à son trait clair et vibrant.
Représenter la vie de George Sand et son temps
La dessinatrice Kim Consigny a mené ses propres recherches sur George Sand après sa lecture du scénario de Séverine Vidal : « je ne voulais pas me lancer dans la bande dessinée sans la connaître moi-même, j’ai lu plusieurs biographies, son autobiographie, plusieurs de ses lettres et de ses romans », raconte-t-elle. Pour raconter la vie de George Sand, la scénariste a dû lire les œuvres de l’écrivaine, mais aussi lire les recherches qui lui ont été consacrées ou les biographies des personnalités qu’elle croisait. Comme je ne connaissais guère George Sand avant de lire cette biographie dessinée, je ne peux critiquer avec pertinence les choix de Séverine Vidal, mais il serait intéressant de le faire. C’est pourquoi je reviendrai sur ce sujet dans un prochain article, qui proposera des éclairages d’experts sandiens sur quelques points soulevés par George Sand, Fille du siècle.
La dessinatrice Kim Consigny a tenté d’évoquer avec authenticité et chaleur les décennies du XIXe siècle que vécurent George Sand : « Elle traverse tout le siècle et ça m’a demandé beaucoup de recherches pour les costumes (la mode évolue beaucoup, on ne s’habille pas du tout de la même façon en 1820 qu’en 1850) et pour l’univers visuel d’une manière générale. » La dessinatrice avait donc besoin de matière visuelle historique (photos, tableaux, illustrations, textes) pour concevoir ses planches, sans oublier le recours aux films réalisés sur cette époque. L’enjeu était de donner à voir le siècle passer, les mœurs évoluer avec la mode, les inventions et les conditions de vie ; de ce point de vue, la bande-dessinée est très réussie. Avec une belle économie de traits, elle donne à voir le temps s’écouler à tous les niveaux, sur le visage et le corps de George Sand comme dans son monde.
À travers la vie de George Sand, c’est tout un pan d’Histoire politique et sociale de la France qui est dressé, du Premier Empire aux premières années de la Troisième République. Le livre est à ce titre très réussi, car il permet de raconter les événements et les changements du point de vue de son personnage principal. On peut toutefois regretter que la scénariste ne propose pas de prendre du recul, notamment en ce qui concerne la perception par George Sand de la Commune de Paris.
Donner la parole au passé, par la littérature
Comme la scénariste le précise, de nombreuses répliques placées dans la bouche des personnages historiques du livre sont directement tirées d’Histoire de ma vie ou des lettres de George Sand et de ses correspondant-e-s. Cela donne aux échanges une qualité évidente, qui reflète la profondeur de vue des personnages, ou au contraire leur atroce étroitesse d’esprit. Ce choix apporte aussi aux bulles et aux apartés une couleur typique de la première moitié du XIXe siècle, sans pour autant nuire à la compréhension. Des citations d’Histoire de ma vie ponctuent régulièrement le récit, sur des pages blanches isolées des planches, avec une typographie qui rappelle leur origine littéraire.
Les autrices de George Sand, Fille du siècle ont réussi leur pari : leur personnage historique n’est pas figé dans le formol de l’académisme, mais vivant jusque dans ses colères et ses orgasmes : « Je l’aime dans ses engagements, ses excès, ses passions, ses erreurs, son travail » déclare Séverine Vidal.
La bande-dessinée publiée par les éditions Delcourt est un récit long, parfois trop long, mais toujours chaleureux bien qu’il emprunte beaucoup de ses mots à la littérature (car les correspondances de ce temps relevaient aussi de l’art des mots, du moins en ce qui concerne George Sand et son entourage). En revanche, les mots attribués à la jeune Aurore lorsqu’elle est enfant sonnent trop adultes, au point que j’ai dû à plusieurs reprises consulter la date des évènements et vérifier qu’à cette époque elle n’était pas plus âgée…
Il me semble qu’on retrouve ici ce travers littéraire qui consiste à refuser aux écrivains et écrivaines enfants d’avoir eu un langage moins riche et moins maladroits que ce que les autobiographies laissent croire. C’est avec ce travers qu’Amélie Nothomb avait brillamment joué dans sa Métaphysique des tubes (2000), autobiographie de 0 à 3 ans. Mais Aurore Dupin, devenue George Sand, semble vraie même si elle n’existe plus que sur le papier, par ses mots, par ceux inventés par Séverine Vidal, par les dessins de Kim Consigny. Puisse cette bande-dessinée inspirer femmes et hommes, mais aussi rappeler que l’Histoire des « grands hommes » que l’on racontait était celle d’une poignée d’individus dans la moitié masculine de l’humanité et qu’il fallut à George Sand emprunter leurs habits pour se faire publier. Mais son talent et sa détermination n’appartenaient qu’à elle.
Toutes les citations de Séverine Vidal et Kim Consigny sont extraites de l’entretien publié le 28 avril 2021 sur le site des Éditions Delcourt, que nous vous invitons à lire dans son intégralité.
Pour aller plus loin
Nous vous invitons à lire les deux articles de Jérémy Zucchi sur George Sand, à lire avant ou après George Sand, Fille du siècle :