Caractéristiques
- Titre : La Faucheuse : Histoires secrètes
- Auteur : Neal Shusterman
- Editeur : Robert Laffont
- Collection : R
- Date de sortie en librairies : 23 février 2023
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 504
- Prix : 19,50 euros
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 6/10 par 1 critique
Une écriture riche, multiforme et surprenante
Lorsqu’en 2019, Neal Shusterman met un point final à sa trilogie La Faucheuse, commencée à peine 2 ans plus tôt, toute une génération de lecteurs se retrouve orpheline de cet univers passionnant et dystopique où la maladie et la mort ont été éradiquées. Seuls les Faucheurs, choisis pour leur noblesse d’âme, peuvent prendre une vie, la « glâner » définitivement, régulant ainsi la population et imposant l’ordre autour d’eux. C’est donc une excellente surprise que de voir publié aux éditions Robert Laffont dans la Collection R un recueil de treize nouvelles inédites intitulé La Faucheuse : Histoires secrètes.
L’auteur s’entoure de nouvelles plumes pour co-écrire certains textes, comme il l’avait déjà fait précédemment avec son fils Jarod Shusterman pour les romans Dry et D.R.U.G.S. Ici, sa fille, Michael H. Payne ou encore David Yoon l’accompagnent, et de cette écriture à plusieurs mains naît une variété de tons et de narrateurs très enrichissante pour le récit. L’on suit tour à tour un Faucheur, le Thunderhead – intelligence artificielle présente dans toute la trilogie – et de nombreux autres personnages qui sont autant de points de vue différents pour questionner les choix politiques de cette société futuriste et leur légitimité. Les registres de langue sont également divers, certains personnages s’exprimant avec simplicité tandis que d’autres châtient leur expression.
Dans Histoires secrètes, Neal Shusterman choisit le format court de la nouvelle, mais il n’en profite paradoxalement pas pour adopter un rythme plus vif ou percutant. Au contraire, avec une écriture très descriptive, il prend le temps d’installer son atmosphère, au risque de donner parfois une impression de lenteur. Mais c’est pour mieux surprendre le lecteur lorsque l’action se met en place et s’accélère vers la résolution finale. L’auteur s’amuse enfin à mélanger les genres, passant de la poésie à la science-fiction, de l’humour au frisson horrifique en un claquement de doigts.
La dystopie comme invitation à la réflexion
Avec sa plume immersive et minutieuse, Neal Shusterman est parvenu dans La Faucheuse à créer un monde unique, obéissant à ses propres règles et définissant son propre vocabulaire. De son imagination débordante naît sous nos yeux la MidMerica du milieu du troisième millénaire avec, dans ce nouvel opus, des concepts originaux et marquants tels que le Grand Rêve partagé où tous les membres d’une communauté se retrouvent chaque nuit, ou encore la conquête spatiale. L’auteur choisit de s’attarder sur des détails concrets et tangibles pour donner vie à son récit. La planète Mars – décor atypique de l’une des nouvelles – est ainsi décrite avec méticulosité, de la durée de ses journées jusqu’à l’organisation de la vie des colons. Tout est passé au peigne fin ! Il est d’ailleurs à noter que cette exigence à laquelle se soumet l’auteur implique également de notre part une certaine concentration.
La lecture est cependant loin d’être laborieuse car Neal Shusterman est aguerri dans l’art d’écrire pour un public adolescent. Il sait cibler ses centres d’intérêt et les transposer dans son monde imaginaire. Ainsi, après avoir suivi les aventures d’un Faucheur, l’on s’attardera par exemple sur les journées d’école et les premiers émois amoureux des jeunes protagonistes.
L’auteur crée ainsi un attachement à ces personnages familiers et utilise la dystopie pour susciter un recul critique sur la société contemporaine. En poussant à leur paroxysme certains travers de notre époque et en plaçant la politique au cœur de son récit, il invite le lecteur à réfléchir et à questionner le monde dans lequel il vit. Dans la nouvelle intitulée « Toile mortelle », Neal Shusterman met par exemple en scène de jeunes artistes incapables d’inventer ou de créer du nouveau, mais ne faisant que modifier des concepts existants grâce à des logiciels informatiques. Il pointe ainsi du doigt les dangers de l’usage exclusif des nouvelles technologies et de la paresse intellectuelle. D’autres questionnements philosophiques et moraux sont également abordés : la mortalité permet-elle d’apprécier davantage la vie ? Peut-on ressentir de la passion sans craindre la souffrance et la mort ? Ces thématiques passionnantes ne sont jamais uniquement ébauchées, mais constituent le cœur même de chaque nouvelle et un terreau fertile de réflexion pour les jeunes adultes en formation qui les liront.
Un recueil réservé aux fans de la trilogie La Faucheuse
Si la sortie de ce nouveau recueil est l’occasion rêvée pour relire les trois tomes précédents de La Faucheuse, il serait totalement inutile et contre-productif de découvrir cet univers avec Histoires secrètes. Neal Shusterman ne prend en effet pas la peine de placer ses nouvelles dans la chronologie des autres romans, ni de réexpliquer quels en sont les principaux enjeux. Un lecteur novice serait alors totalement perdu et se découragerait rapidement devant l’hermétisme du texte. Il est d’ailleurs conseillé d’avoir des souvenirs plutôt frais des trois romans pour se lancer dans l’aventure.
Le recueil est donc réservé à un public très connaisseur, qui replongera avec plaisir en MidMerica et apprendra quelques informations complémentaires sur les personnages de la saga. On découvrira en effet certains détails du passé de Dame Curie, ou encore comment Maître Goddard est devenu Faucheur. Neal Shusterman profite des Histoires secrètes pour donner un préquel, une suite et des annexes à sa trilogie. Puisqu’il n’a plus l’urgence de résoudre une intrigue suivie, il prend le temps de détailler quelques glânages cocasses et de revenir sur certaines zones d’ombre de la saga. Il ne ferme d’ailleurs pas la porte à une éventuelle suite…
La lecture de ces nouvelles constitue donc un bonus agréable, mais n’a cependant rien d’indispensable pour comprendre les romans. Elle permet de prolonger l’univers et de l’enrichir, mais n’est en aucun cas nécessaire pour comprendre les tomes précédents ou obtenir des révélations inédites sur l’histoire. L’on pourra d’ailleurs reprocher au recueil d’être un peu inégal, faisant succéder à certaines nouvelles captivantes d’autres beaucoup plus anecdotiques.
La Faucheuse : Histoires secrètes est donc un recueil de nouvelles inédites qui ravira les fans de la trilogie, mais n’est en aucun cas à mettre entre les mains d’un lecteur novice. S’il est par instants inégal, il permettra de retrouver la plume riche et immersive de Neal Shusterman et d’aborder grâce à la dystopie des questionnements majeurs et passionnants sur notre société contemporaine.