Caractéristiques
- Titre : Le Piège
- Traducteur : Marie Kempf
- Auteur : Jean Hanff Korelitz
- Editeur : J'ai Lu
- Date de sortie en librairies : 8 février 2023
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 416
- Prix : 8,80 euros
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- Note : 7/10 par 1 critique
Un thriller au scenario alléchant…
Avec sa quatrième de couverture sobre mais intrigante, ornée de l’avis accrocheur de Stephen King – « Un suspense qui explose tous les critères habituels. C’est remarquable ! » – Le Piège attire immédiatement l’attention. Si le nom de son autrice, Jean Hanff Korelitz, semble de prime abord inconnu, il s’agit pourtant d’une romancière, poète, essayiste et critique littéraire qui s’est récemment fait connaître grâce à l’adaptation en mini-série de son roman Les premières impressions sous le titre The Undoing, avec au casting Nicole Kidman et Hugh Grant.
Avec Le Piège, elle poursuit son investigation sur la psychologie des personnages et s’intéresse cette fois-ci à un écrivain sur le retour, Jacob Finch Bonner. Auteur d’un grand succès littéraire mais incapable de réitérer l’expérience, il se tourne avec dépit vers l’enseignement et rencontre durant l’un de ses cours d’écriture un étudiant, Parker Evan. Ce jeune homme très sûr de lui et suffisant dit détenir une intrigue renversante, capable de transformer n’importe quel apprenti auteur en romancier à succès. Quelques années plus tard, lorsque Jacob apprend que son élève est tragiquement décédé sans jamais avoir écrit la moindre ligne, il décide de voler la trame de son roman…
C’est avec ce scénario retors que Jean Hanff Korelitz entend donc piquer la curiosité de son lecteur. Comment un simple synopsis pourrait-il conférer immédiatement à son auteur un succès évident et unanime ? L’autrice propose de résoudre cette énigme dans un thriller immersif qui tient le lecteur en haleine malgré un rythme parfois inégal. Les thématiques du plagiat et de l’éthique de l’écrivain sont abordées avec finesse, nous plongeant dans le monde passionnant de l’écriture et de l’édition, fait de succès, mais aussi et surtout de désillusions et de difficultés. Comment reprendre la plume après avoir publié un best-seller ? Pourquoi tel roman rencontre-t-il plus facilement son public ?
Les mésaventures de Jacob Finch Bonner nous entraînent tantôt sur les routes d’une Amérique profonde, décrite avec précision et densité, tantôt dans les tréfonds d’une famille dysfonctionnelle. Elles nous confrontent également aux conséquences négatives de la notoriété et à la menace de l’exposition sur les réseaux sociaux. Néanmoins, ce scénario alléchant fait à la fois la force et la faiblesse du roman. En sous-entendant qu’il est possible d’écrire un best-seller parfait et universel, Jean Hanff Korelitz ne place-t-elle pas la barre trop haut et ne risque-t-elle pas de décevoir ses propres lecteurs ?
… mais qui ne tient pas toutes ses promesses
Le Piège est découpé en quatre parties, elles-mêmes décomposées en différents chapitres, de rythme assez variable. Le début du roman est lent, l’autrice prenant le temps de détailler l’environnement de Jacob Finch Bonner et sa frustration de ne pas retrouver l’inspiration espérée. La suite est beaucoup plus dynamique, marquée par la quête du protagoniste, et conférant au récit une structure en crescendo bienvenue. Cependant, cette entrée en matière plutôt laborieuse peine à convaincre pleinement. Il faut ainsi environ 130 pages à l’autrice pour intégrer les éléments du résumé présent au dos de la couverture.
Par ailleurs, en choisissant le concept du piège et de l’engrenage, Jean Hanff Korelitz se donne pour défi d’écrire un roman à la construction parfaite et à la résolution retentissante. Or, certains retournements de situation sont très prévisibles et l’autrice cède parfois à quelques raccourcis scénaristiques qui nuisent à la crédibilité de l’ensemble. Quant à la clef du mystère, elle se révèle finalement assez décevante.
L’autrice prend donc un véritable risque en plaçant au centre de son récit la notion de roman parfait, car Le Piège ne peut que souffrir de la comparaison. Bien qu’agréable à lire et plutôt addictif dans son dernier tiers, il ne parvient jamais à égaler son double de fiction. Le personnage principal y est d’ailleurs pour beaucoup, puisqu’en plus de regretter sans cesse son succès perdu, il prend bon nombre de mauvaises décisions, qui ne font que retarder artificiellement le dénouement.
Une intéressante mise en abyme de l’écriture
Même s’il s’avère décevant dans la résolution de son intrigue, Le Piège n’est pas pour autant un mauvais roman. En étudiant le monde du livre, il offre un recul intéressant sur l’acte d’écrire, comme l’avait fait précédemment Joël Dicker dans La Vérité sur l’affaire Harry Québert. Loin de donner des leçons, l’autrice prodigue quelques conseils stylistiques et interroge habilement les mécanismes d’écriture.
Elle propose également une construction astucieuse dans le deuxième tiers du thriller, en insérant au récit quelques chapitres du roman fictif de Jacob Finch Bonner : Réplique. Cette alternance entre narration et livre enchâssé permet de densifier la lecture et de distiller quelques informations nécessaires à la résolution de l’intrigue. La lecture n’en est alors que plus palpitante dès que le lecteur comprend que ces indices lui permettront de résoudre – certes un peu trop facilement – l’énigme.
A l’image des préceptes prodigués durant les cours d’écriture de Jacob, Jean Hanff Korelitz soigne sa plume, par instants fluide et efficace, et à d’autres plus descriptive et immersive. Elle sait prendre le temps de détailler son environnement avec minutie, ce qui donne lieu à des chapitres plutôt longs, mais jamais ennuyeux pour le lecteur. Le texte est également agrémenté de quelques pointes d’humour bien choisies qui contrastent avec la tension de l’ensemble.
Le Piège est donc un roman qui peut décevoir s’il est abordé comme un thriller à twist. Bien que mis en avant pour son scenario rusé et tortueux, il convainc davantage par l’atmosphère qu’il parvient à installer et par l’originalité de sa construction que par la résolution de son intrigue. En proposant une mise en abyme habile du roman et un recul critique pertinent sur le monde de l’édition , il offrira au lecteur un moment à la fois instructif et divertissant.