[Critique] Oppenheimer : Biopic atomique

Caractéristiques

  • Titre : Oppenheimer
  • Réalisateur(s) : Christopher Nolan
  • Scénariste(s) : Christopher Nolan
  • Avec : Cillian Murphy, Emily Blunt, Robert Downey Jr., Matt Damon, Rami Malek, Florence Pugh, Benny Safdie, Michael Angarano, Josh Hartnett et Kenneth Branagh.
  • Distributeur : Universal Pictures International France
  • Genre : Biopic, Historique, Thriller
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 181 minutes
  • Date de sortie : 19 juillet 2023
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  • Note du critique : 8/10

C’est l’un des films événements de cet été aux côtés de Barbie, Mission impossible : Dead Reckoning, Partie 1 ou encore Indiana Jones 5. Oppenheimer est le douzième long-métrage de Christopher Nolan (Inception, The Dark Knight, Tenet), réalisateur, scénariste et producteur onze fois oscarisé, et dont les films ont rapporté plus de cinq milliards de dollars dans le monde. Pour les besoins de ce biopic centré sur l’une des plus grandes figures de la physique théorique et « père de la bombe atomique », Nolan laisse de côté la science-fiction et le fantastique pour se concentrer, comme dans Dunkerque, sur l’histoire avec un grand H. Le film suit la vie d’Oppenheimer, de manière non linéaire, survolant ses années d’études en Europe et aux Etats-Unis, son travail de Directeur scientifique au sein du très secret « Projet Manhattan » et ses années de disgrâce, pendant le maccarthysme, accusé d’avoir entretenu des liens avec le Parti communiste et de s’opposer à la création de la bombe H.

Biopic et jeu sur la temporalité

A la base du scénario, le livre American Prometheus : The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer, lauréat du Prix Pulitzer et écrit en 2005 par Kai Bird et Martin J. Sherwin, a fourni à Nolan les informations essentielles sur la carrière du physicien, mais également sur sa vie intime. Le long-métrage oscille en effet entre point de vue objectif et subjectif, et alterne ancrage dans le réel et images poétiques évoquant son univers intérieur. La caméra suit Oppenheimer au plus près, et s’efforce de coller à la réalité connue de ce personnage marquant : son goût prononcé pour les langues, son caractère arrogant et parfois difficile, ou encore la tentative d’empoisonnement contre l’un de ses professeurs à l’aide d’une pomme, tout est passé au peigne fin.

Les décors eux-mêmes sont, dans la mesure du possible, ceux dans lesquels Oppenheimer a réellement évolué : si la chef décoratrice Ruth De Jong (Nope, Us, Manchester by the Sea) a dû reconstituer Los Alamos, QG du Projet Manhattan, l’Université de Cambridge, de Princeton, et même le site d’essais de White Sands au Nouveau-Mexique, où l’essai atomique Trinity a eu lieu en juillet 1945, ont pu accueillir l’équipe durant le tournage.

Réaliser un biopic est un exercice étonnant pour Christopher Nolan, qui a toujours aimé jouer sur la temporalité. Oppenheimer est pourtant la preuve qu’il est capable dans chacun de ses projets de repousser les limites de la narration traditionnelle. Ici, malgré un découpage en trois actes assez classique, différentes époques se rencontrent, explicitées de manière didactique par une alternance entre couleur et noir et blanc, et flashbacks et flashforwards se succèdent avec une grande habileté.

image cillian murphy oppenheimer
Copyright Universal Pictures. All Rights Reserved.

Un casting quatre étoiles

Pour interpréter les multiples personnages du scénario, parmi lesquels plusieurs figures marquantes du XXème siècle, Christopher Nolan a convoqué un casting exceptionnel : Emily Blunt (Jungle Cruise) interprète brillamment Kitty Oppenheimer, épouse intelligente et déterminée ne s’épanouissant pas dans la maternité et se réfugiant dans l’alcool, Matt Damon (Le Dernier Duel) campe un Général Leslie Groves bourru mais attachant, Florence Pugh (Black Widow) prête ses traits à Jean Tatlock, la maîtresse tourmentée d’Oppenheimer, et Josh Harnett (Le Dahlia noir) joue Ernest Lawrence, pionnier de l’énergie nucléaire américain. A ces premiers acteurs talentueux viennent s’ajouter Casey Aflleck ( Interstellar), Rami Malek (Amsterdam) ou encore Kenneth Branagh (Mort sur le Nil), qui interprète le physicien Niels Bohr, prix Nobel de physique.

Au milieu de ce casting de choix, deux acteurs principaux s’affrontent dans un duel au sommet : Cillian Murphy (Sans un Bruit 2), tout d’abord, qui incarne le personnage aux multiples facettes d’Oppenheimer et obtient pour la première fois un rôle principal chez Nolan. Avec son pork pie hat et sa pipe, il délivre une interprétation tout en nuances et sensible de ce héros complexe qui, selon les propres mots du réalisateur, « a dû risquer de détruire le monde pour tenter de le sauver ». A ses côté, Robert Downey Junior (Avengers : Endgame) interprète un Lewis Strauss ambitieux et rusé, connu pour avoir été le commissaire et fondateur de la Commission à l’Energie Atomique des Etats-Unis, et dont la carrière est étroitement liée à celle d’Oppenheimer.

En tant que réalisateur précis et pointilleux, Christopher Nolan ne souhaite pas recourir à des personnages composites dans un but de simplification et n’envisage sous aucun prétexte d’attribuer les idées d’un scientifique de renom à un autre. Cette précision l’oblige à avoir recours à un nombre très élevé de personnages, tous devant être immédiatement reconnaissables et crédibles. Le film est donc exigeant et ne sera pas facile d’accès pour un spectateur qui ne connaitrait ni la vie d’Oppenheimer, ni les scientifiques ayant gravité autour de lui. Etant donné l’ampleur chronologique du long-métrage, le réalisateur a également recours au vieillissement de ses personnages, qui s’avère plutôt convaincant.

image robert downey jr oppenheimer
Copyright Universal Pictures. All Rights Reserved.

Blockbuster ou film d’auteur ?

Bien qu’il ait la réputation d’avoir une réalisation plutôt froide et efficace, Christopher Nolan semble décidé, avec Oppenheimer, à creuser davantage l’intériorité de ses personnages. Son cinéma reste très masculin, ce qui est compréhensible vu le cadre et l’époque choisis, mais il donne un peu plus de place aux femmes, notamment grâce aux personnages de Kitty et de Jean. L’ingéniosité et la maestria du réalisateur se ressentent avec force dans le montage de son film, très efficace, dans son goût du détail et de la précision, et dans les magnifiques images proposées par Hoyte Van Hoytema, le directeur de la photographie nommé aux Oscars pour Dunkerque. Nolan choisit des caméras grand format – Panavision 65 mm et Imax 65 mm – qui sont souvent utilisées pour le grand spectacle et les récits d’envergure, mais dans ce film mêlant grandiose et intime, elles sont pour une fois mises au service de séquences plus profondes et émotionnelles. Fidèle à son goût pour les effets physiques et à son refus du tout numérique, le cinéaste a également fait appel aux superviseurs effets spéciaux Scott Fisher et Andrew Jackson pour reproduire l’explosion nucléaire sans avoir recours à des plans intégralement conçus en CGI. Contrairement à la rumeur, aucune mini bombe atomique n’a été utilisée pour les besoins du film, mais le résultat de leurs expériences est à la hauteur des espérances : épique.

Oppenheimer est cependant loin d’être un film d’action. Très verbeux et alternant entre récit biographique, reconstitution de l’essai nucléaire et scènes de procès, le long-métrage fait se succéder de véritables moments de suspense à la tension palpable et de longs dialogues plus ou moins percutants. La musique de Ludwig Göransson est, elle, de tous les instants, et choisit les sonorités tantôt douces, tantôt effrayantes du violon pour rappeler que l’invention humaine peut tout autant créer que détruire. Malgré sa durée de trois heures, le film est dynamique et inventif, et réussit à plonger le spectateur, comme le souhaite Nolan, « dans l’esprit et la vie d’un être qui s’est retrouvé à l’épicentre des plus grandes mutations de l’histoire [et qui a] façonné le monde dans lequel nous vivons, pour le meilleur et pour le pire. »

Christopher Nolan a en effet écrit le film pour susciter la réflexion. En plaçant Oppenheimer face aux conséquences du Projet Manhattan – l’explosion des bombes sur Hiroshima et Nagasaki – il invite à questionner les notions d’éthique, d’orgueil, de nécessité et de culpabilité. Le premier essai nucléaire a montré l’ingéniosité humaine dans toute sa splendeur, capable d’innover dans les domaines scientifiques et technologiques, mais il a également initié une course à l armement sans fin, dévastatrice pour le monde et les relations internationales. Nolan plonge le spectateur au cœur de ce constat et en fait le témoin d’un moment historique terrifiant, l’essai Trinity, qui n’excluait pas la « terrible possibilité » de détruire le monde par réaction en chaîne. En nous confrontant à ce risque d’escalade à grande échelle et de catastrophe planétaire, le réalisateur invite à penser un monde où l’orgueil humain ne prendrait pas le dessus sur la raison et où l’intelligence serait mise au service de la paix et de la sécurité.

Oppenheimer est donc un drame historique dense et complexe à la narration inventive, servi par un casting irréprochable et par une brillante mise en scène. En parvenant à allier intime et grand spectacle, et en tirant de l’expérience de ce génie de la physique un avertissement universel, Christopher Nolan montre une nouvelle fois que blockbuster et film d’auteur ne sont pas toujours incompatibles.

L'avis de Guillaume Creis : 4/5

Oppenheimer est un biopic bien mené en trois actes. La seconde partie, la création de la bombe, est peut être la moins bonne car Nolan essaye d’instaurer une fausse tension au public. La troisième, plus politique et sur la discréditation d’Oppenheimer, est sûrement la plus intéressante. Nolan joue toujours sur la temporalité de façon pertinente, mais son écriture, surtout les dialogues, sont toujours basiques. Il compense par une superbe réalisation et un rythme toujours prenant. Cillian Murphy est excellent, mais on retiendra la performance de Robert Downey Jr qui sera très certainement nommé à des prix pour meilleur second rôle. Oppenheimer est un bon biopic, qui trouve une pertinence avec les événements d’aujourd’hui.

L'avis de Cécile Desbrun : 4/5

Biopic romancé mais prenant, Oppenheimer est sans doute, paradoxalement, sans doute le film le plus émotionnel et le moins froid de Nolan. Cela pourra sans doute lui attirer les faveurs de spectateurs que le ton cérébral de la plupart de ses films pouvait rebuter… mais aussi lui valoir des reproches de certains de ses aficionados. En effet, la vie sentimentale du scientifique est pas mal mise en avant (sa femme, sa maîtresse et la situation tragique avec cette dernière…), de sorte que l’on se concentre beaucoup sur l’impact de sa mission sur sa vie personnelle. Quoi que l’on en pense, cela rend le personnage plus humain. A postériori, on pourra penser que Nolan cède un peu à la facilité en faisant d’Oppenheimer, de manière assez manichéenne, une pure victime du système et de l’Etat, sur laquelle l’Amérique se défaussera.

Cependant, d’un point de vue dramatique, ce parti pris permet aussi au cinéaste d’évoquer la période du maccarthysme, mais aussi, de manière pertinente, d’établir un parallèle avec l’IA aujourd’hui, à l’heure où les pères de l’intelligence artificielle ou encore le créateur de Chat GPT alertent sur le danger que son évolution bien trop rapide fait courir à l’humanité. En cela, le film de Nolan touche une corde sensible. On ajoutera également pour terminer que les 3h passent assez rapidement et que, malgré le nombre important de protagonistes, le film parvient à rester clair et assez facile à suivre.

Retrouvez aussi notre critique de l’Enigme Robert Oppenheimer d’Ivan Kiriow. Disponible depuis le 5 juillet aux éditions Larousse.

 

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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