article coup de coeur

[Critique] Geek-Art, une anthologie Volume 3 — dirigé par Thomas Olivri

Caractéristiques

  • Auteur : (sous la direction de) Thomas Olivri
  • Editeur : Huginn & Muninn
  • Date de sortie en librairies : 30 septembre 2016
  • Format numérique disponible : Non
  • Nombre de pages : 418
  • Prix : 39,95€ (édition simple), 60€ (coffret collector avec couverture inédite et set de 3 prints exclusifs)
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 8/10

Après deux volumes remarqués, Geek-Art est de retour pour un 3e volume aux éditions Huginn & Muninn Star Wars : Tout Dark VadorMystères en cuisine, …) Toujours sous la direction de Thomas Olivri, fondateur du site Geek-Art.net, cette anthologie nous plonge dans un bain de pop culture, avec une sélection des meilleures oeuvres de ces deux dernières années, avec une forte prédominance de créations de 2015 et 2016.

Le règne des geeks et l’avènement de la pop culture

Pour ceux qui découvriraient le concept, l’art geek, ça n’est pas seulement des fan arts plus ou moins maladroits ou réussis postés par des adolescents sur les forums, mais aussi des sérigraphies inspirées, créées par des artistes exigeants, issus des domaines de l’illustration, graphisme, design ou encore art contemporain, par ailleurs de plus en plus nombreux à émerger et à être exposés dans des galeries aux quatre coins du monde. Vendant généralement leurs oeuvres sous licence officielle pour des questions de droit, très réclamés par les studios ou les éditeurs de jeux vidéo, ces créateurs puisent dans ce que l’on nomme de manière très large la « pop culture » et utilisent les techniques les plus diverses (peinture, ordi, tablette graphique, sculpture…) pour rendre hommage à des oeuvres cultes ou des blockbusters récents.

Parmi les oeuvres inspirant le plus l’art geek, on retrouve bien entendu de nombreux films cultes des années 80 (Star Wars, Goonies, Terminator, Retour vers le futur…), les héros DC et Marvel, mais aussi une bonne partie des dessins animés Disney, Pixar et Ghibli, sans compter les très populaires Game of Thrones ou Harry Potter, très répandus auprès des plus jeunes, ou encore les indétrônables Mario et Zelda. Initialement regardés de haut et méprisés par l’intelligentsia, considérés comme autistes, socialement inaptes, les geeks ne portent plus, aujourd’hui, leur passion comme une plaie ou une marque de rébellion contre la culture établie et pour cause : que ce soit à travers les innombrables films  et séries de super-héros qui envahissent nos écrans chaque année, les expositions d’envergure dans les musées du monde entier ou encore les essais d’auteurs reconnus et chercheurs qui analysent ces oeuvres de manière érudite, la pop culture est à l’honneur depuis déjà une bonne dizaine, pour ne pas dire quinzaine d’années. Et, courtisés par les marques de produits culturels et high tech qui ont trouvé là un juteux marché, les rangs des geeks se sont considérablement étoffés, si bien que le terme apparaît aujourd’hui un peu galvaudé : geek, à bien y regarder, tout le monde l’est un peu sur les bords, tant cette culture s’est démocratisée.

Une montée en puissance facilitée par la démocratisation d’Internet

image taken...again alexander astor geek-art volume 3
« Taken…Again » d’Alexander Astor, 2014.

Les passionnés qui achetaient autrefois les fanzines sous le manteau, ou passaient de petites annonces dans les revues spécialisées ou sur Internet pour compléter leurs collections sont passés de quelques milliers à des millions avec l’avènement du Web, où l’on peut se connecter instantanément à des centaines de personnes partageant la même passion par le biais des forums et des réseaux sociaux, qui sont devenus la norme, là où les audacieux qui osaient s’aventurer dans les profondeurs du Net pour communiquer avec autrui ou créer des fansites étaient encore représentés comme des parias à la fin des années 90.

Souvenez-vous, par exemple, du traitement du personnage de Willow dans les 3 premières saisons de Buffy : savoir manier un ordinateur et Internet faisait tout de suite d’elle, non seulement l’intello de la bande, mais aussi une pirate informatique hors pair capable de s’infiltrer partout et d’être repérée par la CIA ! Maladivement timide et maladroite avec les garçons, bien entendu. Joss Whedon a eu la bonne idée, par la suite, de la diriger vers la maîtrise de la magie alors que le Net gagnait peu à peu du terrain et, lors de la dernière saison de la série, en 2003, même Buffy utilise un ordinateur portable Apple et offre un téléphone portable à sa petite soeur.

Grâce à la phénoménale avancée technologique des quinze dernières années, des sociétés spécialisées en sérigraphie, notamment, ont pu prospérer en vendant sur des sites spécialisés, et chaque année voit depuis émerger une flopée de jeunes artistes biberonnés à la pop culture. L’art geek, s’il est encore loin d’avoir été anobli de la même manière que le street art au cours des dernières années (acquérir un Banksy lors d’une vente aux enchères est inaccessible au commun des mortels), n’a donc cessé de prendre de la valeur, même si certaines oeuvres, surfant davantage sur la mode du moment, semblent condamner à être aussi éphémères que les blockbusters sans âme dont ils s’inspirent, malgré des idées visuelles parfois brillantes.

Un 3e volume mettant en avant l’évolution du milieu

image alina chau pan's labyrinth geek-art volume 3
« Le Labyrinthe de Pan » de Guillermo Del Toro par Alina Chau, 2016.

Il n’en reste pas moins que, depuis son lancement en 2013, la collection Geek-Art est un bon moyen de prendre « la température » des dernières tendances du milieu, et de suivre son évolution. On retrouve ainsi pas moins de 88 artistes réunis au sein des 418 pages que compte ce 3e volume, et des centaines de reproductions d’oeuvres, dans une qualité d’impression irréprochable.

Quelques noms familiers, déjà bien établis et présents dans les précédents tomes, mais beaucoup de nouveaux venus aussi, certains suffisamment jeunes pour ne pas avoir eu l’occasion de découvrir Dragon Ball Z à la télé — la génération Pokémon, comme le dit fort bien l’un d’eux, Gauvain Manhattan, très inspiré par le retrogaming. Parmi eux, on retrouve beaucoup d’Américains, supérieurs en nombre pour des raisons culturelles, mais également quelques Belges et Français, et, de manière générale, des artistes issus d’un peu partout.

La présentation reste similaire à celle des premiers volumes : un « chapitre » par artiste, présentés par ordre alphabétique sur 4 à 6 pages, le tout ponctué par 6 interviews autour de la pop culture, la sérigraphie et l’art geek avec des galeristes, artistes ou collectionneurs. Si le texte est toujours aussi discret (3 à 5 lignes de présentation par artiste, suivies de liens vers leurs sites ou profils ; des interviews intéressantes mais relativement courtes), celui-ci permet néanmoins de replacer la démarche des artistes dans leur contexte, et surtout de saisir l’évolution du milieu et les interrogations que cela soulève. A chaque volume son fil rouge. Cette année, Thomas Olivri a décidé d’interroger les interviewés sur l’incroyable montée en puissance de la pop culture ces dernières années : a-t-elle sa place dans les musées, ne risque-t-elle pas de connaître un rejet à force d’être partout, avec des films de super-héros pas toujours à la hauteur des espérances, etc.

Sur ce dernier point, l’auteur le dit très bien : s’il n’y a aucun mal à voir enfants et adultes se ruer en salles, mais aussi en magasin sur le merchandising, le manque de substance, devenu dominant, peut difficilement être ignoré. C’est le syndrome Avengers, en quelque sorte : le style Whedon, qui avait quelque chose d’original et décalé il y a 15 ans de cela (tout en sachant que le papa de Buffy a lui-même été très inspiré par James Cameron), avec ses répliques sarcastiques et second degré qui venaient contrebalancer des scènes dramatiques, a perdu de sa substance dans l’univers Marvel, où seul l’élément fun a été retenu dans le premier film, avant de basculer dans un premier degré gênant dans le second. La franchise, est ainsi devenue le maître-étalon, en quelque sorte, à l’aune duquel ont été formatés une partie des films qui ont suivi, bien aidé par le succès de franchises antérieures comme Iron Man, il est vrai.

Un beau livre aux styles et influences variés

image laurie greasley weyland-yutani geek-art volume 3
« Weyland-Yutani » de Laurie Greasley, 2015.

Malgré tout, Thomas Olivri et les différentes personnes interrogées restent optimiste quant à l’avenir de la pop culture : si elle atteint un jour ses limites en raison de ses dérives commerciales, elles ne mourra pas, mais devra simplement se réinventer. D’ailleurs, si Geek-Art volume 3 montre quelques créations (réussies) autour de blockbusters assez peu mémorables comme Avengers : Age of Ultron ou Terminator : Genisys, l’immense majorité se concentre sur des oeuvres déjà entrées au « panthéon » geek, que ce soit dans les domaines du retrogaming, des comics ou du cinéma.

Difficile de dresser la liste complète des oeuvres citées dans ces nombreuses créations, qui se concentrent souvent sur un seul film, par exemple, mais n’hésitent pas à mixer les personnages d’oeuvres et univers différents dans certains cas. Que vous soyez branchés cinéma US des années 80, 90, 2000 et même 70, comics, dessins animés, jeux vidéo ou films et séries plus récents, vous trouverez forcément de quoi vous mettre sous la dent avec cette volumineuse anthologie, qui fait se juxtaposer styles et techniques variés.

Bien sûr, certaines oeuvres sont un peu plus citées que d’autres, et on repère assez facilement des influences stylistiques communes à plusieurs artistes, mais la variété de l’ensemble est plaisante et la majorité des créations présentées font des propositions intéressantes, à défaut d’être 100% originales, où se dégage une patte, un univers. En fonction de ses goûts et références personnelles, on se laissera davantage happer par l’univers de tel ou tel artiste, que l’on pourra découvrir plus amplement grâce aux liens indiqués dans leur présentation, mais il est aussi intéressant de noter que les images impressionnantes inspirées de certaines oeuvres à côté desquelles on a pu passer, donnent également envie de les découvrir. Et n’est-ce pas là, après tout, l’une des plus grandes richesses de la pop culture, qui en fait également l’intérêt : une curiosité brassant toujours plus large, encourageant, par la passion de ses plus ardents défenseurs, à découvrir de nouveaux univers dans lesquels plonger ? Un monde aussi bien tourné vers le passé que l’avenir, ouvert, loin de l’idée de replis que l’image du geek a souvent suscitée.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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