Près d’un an après la sortie du second tome de la trilogie SF Earthend, Bragelonne publie enfin le dernier volet des aventures de la psychiatre Caitlin O’Hara, héroïne quadragénaire imaginée par Gillian Anderson et Jeff Rovin. Si le premier livre, Visions de feu — qui était également le tout premier roman de l’actrice de X-Files et The Fall — était assez classique et tiré par les cheveux à certains égards, le second, Rêves de glace, nous avait agréablement surpris par sa capacité à développer de manière dense et cohérente à la fois une intrigue qui aurait pu se révéler être un pot pourri fantastico-scientifico-new age assez indigeste.
Une conclusion complexe et cohérente
Comme son prédécesseur, Échos des mers reprend l’histoire où nous l’avions laissée sans trop se soucier de résumer ce qu’il s’est déroulé précédemment ; la lecture des deux premiers tomes est donc essentielle à la bonne compréhension de ce dernier roman. D’ailleurs, les personnes ne s’étant pas penchées sur la trilogie depuis avril 2016 pourraient être inspirées de refeuilleter brièvement la fin de Rêves de glace et quelques passages concernant les mystérieuses pierres retrouvées par le scientifique Mikel Jasso, même si, dans l’ensemble, les différents éléments de l’intrigue reviennent assez vite en tête. Il est cependant incontestable que cette conclusion est plus complexe que les deux premiers livres, d’autant plus que le roman affiche le même nombre de pages que ses prédécesseurs, d’où une plus grande densité au niveau des informations communiquées au sein de la narration, qui demandera une attention accrue de la part du lecteur. Les passages consacrés aux pierres, leur pouvoir et la manière dont elles communiquent ou peuvent être manipulées, ainsi que les voyages astraux de Caitlin, devront en ce sens être lus de manière posée, sous peine de passer en l’espace de quelques pages à côté d’éléments essentiels à la bonne compréhension de l’ensemble.
Ceux qui ont apprécié Visions de feu et Rêves de glace n’en seront pas surpris, Échos des mers possède des accents new age assumés, mais assez bien canalisés dans l’ensemble. Encore une fois, Gillian Anderson et Jeff Rovin parviennent à éviter le côté pot pourri en continuant de développer la mythologie de la civilisation galderkhaani et en reliant de manière assez cohérente les différentes sous-intrigues qui évoluaient en grande partie en parallèle jusque-là. La manière de relier le récit s’intéressant aux explorations de Mikel Jasso à celle de Caitlin pourra certes paraître un peu précipitée et aurait sans doute mérité quelques pages supplémentaires, mais les auteurs parviennent néanmoins à retomber sur leurs pattes en disséminant dans l’histoire quelques éléments qui prendront leur sens à la fin, afin d’aboutir à un résultat convaincant.
Cependant, la conclusion d’Échos des mers frustrera sans doute certains lecteurs par sa dimension anti-démonstrative très éthérée : Gillian Anderson et Jeff Rovin mettent fin au suspense concernant le sort de Caitlin et son fils Jacob un peu vite, et la distance littéralement cosmique avec laquelle la situation est réglée peut décontenancer. Néanmoins, ce parti pris, aux antipodes de la veine commerciale et grand public dans laquelle semblait pourtant s’inscrire la trilogie Earthend, est assez courageux et a le mérite d’éviter certaines facilités vers lesquelles l’oeuvre semblait parfois s’acheminer : pas de happy end amoureux, pas de sauvetage de dernière minute abracadabrantesque… La fin de Earthend est cohérente avec les bases de l’univers qui ont été posées dès le départ, et il faut saluer les auteurs pour être parvenus à développer une mythologie qui se tienne à partir d’une base assez tirée par les cheveux, qui pouvait laisser songeur à l’issue du premier tome. Le roman n’évite pas entièrement quelques lignes de discours convenu (« C’est donc la morale de l’histoire. Il faut se tenir par la main et chanter tous ensemble. »), et un court passage autour des dangers énergétiques et psychologiques du smartphone peut prêter à sourire, mais dans l’ensemble, Gillian Anderson s’en sort avec les honneurs pour cette première collaboration qui avait tout du projet marketing accrocheur mais casse-gueule.
Une fin ouverte, laissant envisager une suite
Il y a bien sûr un côté X-Files tout au long des trois tomes, mais Earthend ne se résume pas à cela, de même que Caitlin O’Hara n’est pas Dana Scully. On sent au contraire à travers l’oeuvre certaines préoccupations personnelles de Gillian Anderson, qui prête à son héroïne des actions dans l’humanitaire, et infuse l’intrigue d’un côté zen, avec une approche holistique assez inspirée de la spiritualité orientale, et plus particulièrement hindoue. Le discours implicite au centre d’Earthend, à savoir que la foi et la science ne sont pas contraires et que les représentants des deux bords devraient trouver un terrain d’entente plutôt que de s’affronter, semble également lui tenir à coeur, bien que cette dimension soit développée de manière plus superficielle et fantaisiste qu’un chef d’oeuvre tel que Contact de Carl Sagan, dont il s’agissait aussi du thème principal. Jeff Rovin, auteur aguerri — ou artisan consciencieux et rôdé, selon le point de vue — apporte quant à lui une rigueur évidente à l’ensemble dans la construction de la saga, et, aidé d’une assistante, parvient à apporter autant de crédibilité « scientifique » que possible à cette histoire de civilisation ancienne plus perfectionnée que les Mayas et les Incas réunis, cultivant du jasmin dans les nuages, manipulant les énergies et volant à bord d’aéronefs tout droit sortis de l’imaginaire steampunk.
A cet égard, si Rêves de glace développait de manière assez nette et précise les particularités de cette civilisation disparue et les raisons de son extinction, entraînée par le conflit opposant Prêtres et Technologues, Échos des mers nous permet de découvrir Galderkhaan de l’intérieur, par le regard de Caitlin et son fils sourd et muet, dont l’esprit se trouve catapulté dans l’ancienne cité peu avant sa destruction. L’occasion de découvrir des protagonistes plus modérés que les Prêtres extrémistes qui étaient au centre du second tome. La manière dont l’héroïne et le petit garçon passent de l’anglais à la langue galderkhaani, avec sa gestuelle spécifique, est par ailleurs bien rendue et s’avère assez intéressante. Le personnage du linguiste Ben s’efface quant à lui au profit de Mikel Jasso, qui continue ses recherches dans l’Antarctique, ce qui pourra surprendre, mais laisse aussi la place à une suite, en fonction de l’accueil réservé à ce qui est supposé être le dernier volet d’une trilogie. Tout en apportant une conclusion à l’intrigue, la fin d’Échos des mers est ainsi assez ouverte, avec un épilogue symbolisant une forme de renaissance qui permettrait tout à fait de continuer à explorer la mythologie de Galderkhaan.
Échos des mers apporte donc une conclusion (provisoire ou définitive) satisfaisante à la saga Earthend, oeuvre assez singulière mêlant fantastique, SF et spiritualité zen. Singulière car, sous ses abords de trilogie plutôt grand public au sein des littératures de l’imaginaire, elle n’hésite pas à dévier de ce qui semblait être sa destination pour s’autoriser une fin éthérée assez anti-commerciale, tout en étant cohérente avec l’intrigue développée. Si Gillian Anderson (qui vient de publier en Angleterre un livre de développement personnel sous forme de manifeste féministe, WE: A Manifesto for Women Everywhere) et Jeff Rovin ne révolutionnent pas le genre et que quelques pages supplémentaires auraient été utiles pour étayer une conclusion un poil hâtive, la saga surprend agréablement, sur la longueur, par une certaine densité et sa capacité à développer de manière cohérente et approfondie une intrigue qui aurait pu ressembler à un pot pourri abracadabrantesque.
Earthend, tome 3 : Échos des mers de Gillian Anderson et Jeff Rovin, traduit de l’anglais (américain) par Louise Malagoli, Bragelonne, sortie le 15 mars 217, 342 pages. 17,90€