Caractéristiques

- Titre : Quand nos os retourneront à la poussière
- Traducteur : Mathilde Tamac-Bouchon et Ombeline Marchon
- Auteur : V.E. Schwab
- Editeur : Lumen Editions
- Date de sortie en librairies : 12 juin 2025
- Format numérique disponible : non
- Nombre de pages : 762
- Prix : 20€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 9/10 par 1 critique
Trois ans après la sortie de Gallant, V. E. Schwab, autrice américaine adulée pour ses sagas fantasy à succès (Shades of Magic, Vicious, ou encore la trilogie jeunesse Cassidy Blake), revient avec un nouveau roman publié aux éditions Lumen, Quand nos os retourneront à la poussière. S’adressant cette fois à un public plus adulte, l’autrice propose une fresque vampirique sombre et sensuelle, mêlant fantastique, émotions fortes et personnages complexes.
Fresque vampirique au féminin
Alice ne s’attendait pas à mourir un soir de fête, et encore moins à se réveiller vampire le lendemain. Tenaillée par la faim et désespérée, elle se lance sur les traces de celle qui l’a transformée, sans savoir qu’elle vient d’entrer dans une histoire bien plus ancienne que la sienne. Deux siècles plus tôt, une autre jeune femme, Charlotte, succombait au charme de Sabine, veuve charismatique qui deviendrait bientôt son amante… puis sa créatrice. De cette union éternelle naît une relation aussi intense que destructrice, marquée par la jalousie, la fuite, et les morts laissés derrière elles. Dans ce roman choral, V. E. Schwab mêle destins et époques pour proposer une relecture audacieuse et féminine du mythe du vampire. Un récit de faim, de perte et de vengeance, à la croisée de l’intime et du surnaturel.
Le roman s’organise en chapitres alternés, chacun centré sur une héroïne. À chaque changement de point de vue, une élégante page de garde annonce le prénom et l’année de transformation du personnage, date qui reste fixe, quel que soit le moment du récit. Ce procédé crée une structure claire, tout en renforçant l’ancrage de chaque figure dans son époque. De l’Espagne du XVIe siècle aux États-Unis de 2019, le récit traverse les siècles et les continents sans perdre en cohérence.
Grâce à une écriture immersive et à des ellipses maîtrisées, V. E. Schwab tisse une fresque fantastique ambitieuse, dense et dépaysante, qui mêle avec brio histoire intime et vaste temporalité. Avec une maîtrise formelle remarquable, Quand nos os retourneront à la poussière propose une immersion sensorielle et historique, portée par une narration éclatée mais parfaitement lisible, qui célèbre autant la puissance des femmes que la noirceur de leurs blessures.
Désirs brûlants et soif de pouvoir
L’une des grandes forces du roman tient à la puissance émotionnelle et sensuelle de ses héroïnes. V. E. Schwab déploie une écriture charnelle, vibrante, qui donne à chaque lien amoureux une intensité presque fébrile. Les relations sont passionnées, imprégnées d’un désir palpable, qu’il soit partagé ou non. La tension sexuelle est omniprésente, nourrie par des scènes explicites qui ancrent le récit dans une dimension résolument adulte. Les personnages féminins suivent leurs impulsions, leurs envies, souvent envers d’autres femmes, dans un ballet de regards, de serments et de jalousies.
Mais cet élan vers l’autre s’accompagne vite de morsures plus sombres. Car, à mesure que les sentiments s’enchevêtrent, les héroïnes deviennent toxiques les unes pour les autres. Sabine aime, transforme, puis domine. Les amours deviennent jeux de pouvoir, et les promesses d’éternité se muent en chaînes. À travers ces relations complexes, l’autrice interroge la frontière entre désir et domination, entre passion et destruction.
Au-delà de l’intime, Quand nos os retourneront à la poussière déploie une réflexion féroce sur le pouvoir. Le mythe du vampire est ici réinventé pour servir un propos féministe assumé. Se faire mordre, renaître autrement, plus forte, quasi invicible, c’est aussi échapper aux carcans d’une société patriarcale. Dans les époques traversées, marquées par les inégalités et les convenances, les femmes prennent les rênes. Sabine, flamboyante et libre, manipule les hommes avec aplomb. D’autres refusent de rester silencieuses ou soumises, quitte à devenir prédatrices à leur tour. La métaphore est forte : devenir vampire, c’est s’émanciper. Mais à quel prix ? Car l’immortalité offerte par la morsure entraîne aussi une forme d’aliénation. V. E. Schwab explore ce paradoxe avec nuance, faisant du surnaturel un miroir des violences bien réelles faites aux femmes.
Un chant funèbre lent et envoûtant
Il faut se laisser happer par le rythme lent et sinueux de la plume de V. E. Schwab. Loin des romans trépidants, Quand nos os retourneront à la poussière impose son tempo : celui de l’éternité. L’écriture est poétique, parfois contemplative, mais toujours habitée. L’autrice excelle dans l’art de suggérer les sensations, de rendre palpable une atmosphère, un frisson sur la peau, une morsure au creux du cou. Le récit prend son temps, déployant ses longues descriptions avec une élégance qui n’alourdit jamais la lecture.
L’autrice sait manier la langue avec justesse pour évoquer les émotions les plus ténues, la délicatesse d’un geste ou la violence d’une pulsion. Les pages s’enchaînent comme les pièces d’un vaste puzzle, où tout finit par s’imbriquer. L’univers vampirique qu’elle construit est à la fois foisonnant et cohérent, fascinant de bout en bout. Et si l’action pure est rare, le roman ne cesse d’évoluer, nourri par les rencontres, les voyages, les époques qui s’entrechoquent.
Cette lenteur assumée laisse toute la place à la richesse psychologique des personnages. V. E. Schwab s’attarde sur leurs failles, leurs ambiguïtés, leurs métamorphoses intimes. Alice, hantée par l’anxiété et le doute, peine à s’affirmer. Sabine, flamboyante et insaisissable, incarne un désir de liberté brûlant. Quant à Lottie, elle semble en perpétuelle fuite. Toutes sont complexes, imparfaites, profondément humaines, même après leur transformation. Car ici, nul manichéisme : les héroïnes deviennent tour à tour victimes, bourreaux, amantes, traquées. L’humanité se dilue lentement dans la soif, jusqu’à ce que certaines basculent définitivement. La figure de la vampire n’a rien d’angélique : elle fascine autant qu’elle effraie. Et c’est sans doute dans cette tension morale que le roman touche au plus juste.
Avec Quand nos os retourneront à la poussière, V. E. Schwab signe une œuvre à la fois intime et monumentale, où le mythe du vampire devient le vecteur d’une fresque féminine puissante, sensuelle et profondément mélancolique. Porté par une écriture envoûtante et des héroïnes fortes, le roman conjugue désir, souffrance et quête de liberté dans un récit où chaque morsure laisse une trace, chaque amour une cicatrice. Lent, dense, parfois cruel, mais toujours envoûtant, ce chant vampirique célèbre les femmes qui brûlent, aiment, s’émancipent, et parfois se perdent. Un roman qui hante longtemps après la dernière page