Caractéristiques
- Titre : Pierre Bayard DéteXtive Privé – Enquête sur Peter Pan
- Auteur : Clémentine Beauvais
- Editeur : Sarbacane
- Date de sortie en librairies : 3 septembre 2025
- Format numérique disponible : oui
- Nombre de pages : 240
- Prix : 14,90 €
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- Note : 7/10 par 1 critique
Avec Les Petites Reines, récompensé par plusieurs prix, Âge tendre, ou encore Songe à la douceur, Clémentine Beauvais s’est progressivement imposée comme l’une des plumes françaises les plus inventives de la littérature jeunesse contemporaine. En 2025, elle inaugure une nouvelle série chez Sarbacane avec Pierre Bayard, DéteXtive privé, dont le premier volume s’attaquait à L’Affaire du Petit Prince. Avec Enquête sur Peter Pan, elle poursuit ce jeu d’équilibriste entre hommage, pastiche et création, pour proposer une aventure à la croisée du roman policier et du conte.
Une enquête littéraire
Pierre Bayard n’est pas seulement un intellectuel reconnu : dans l’univers de Clémentine Beauvais, il devient « DéteXtive privé », un enquêteur spécialisé dans les mystères de la littérature. Ancien membre de la Chevalerie de Lecture Experte de France, dont il a été exclu par l’intransigeante Élise Mieux, il se voit sollicité par Sarrasine Cabochon, une vieille chevalière en quête de vérité. Celle-ci a reçu, des années après sa mort, une lettre de son frère Fromentin, disparu pendant la Première Guerre mondiale. Or, le document laisse entendre qu’il aurait pu être assassiné… La clef de l’énigme se cache peut-être dans un livre mystérieux, inconnu même de Pierre Bayard. Accompagné d’Édith, la chienne qui parle, et d’une panoplie de personnages hauts en couleurs, le DéteXtive s’élance entre Paris et Londres, bien décidé à lever le voile sur cette mort étrange. À noter : mieux vaut avoir lu le Peter Pan de J. M. Barrie avant d’ouvrir le roman, sous peine de se voir révéler l’intégralité de son intrigue.
Dans Enquête sur Peter Pan, Clémentine Beauvais s’inspire des textes de « critique policière » du véritable Pierre Bayard. Ce professeur de littérature et psychanalyste, a développé tout un pan critique autour du postulat selon lequel il pouvait y avoir des erreurs dans la fiction comme il existe des erreurs judiciaires. Il relit alors les grands classiques à la manière d’un détective, traquant les invraisemblances, les contradictions et les secrets dissimulés. Clémentine Beauvais, admiratrice de cette approche, choisit de la transposer dans la fiction jeunesse. Dans son univers, Bayard devient donc lui-même personnage, traquant les incohérences de la littérature comme il mènerait une enquête criminelle.
Fantaisie et plume savoureuse
Ce qui frappe d’emblée dans ce second volume, c’est le ton résolument fantasque choisi par Clémentine Beauvais. Elle interpelle son public avec des remarques malicieuses et parsème son récit de clins d’œil facétieux. Le texte prend des allures de terrain de jeu, où l’autrice s’amuse des mots, des sonorités, des doubles sens, tout en jonglant entre registres soutenu et familier. Cette inventivité donne lieu à une langue vive et ludique, tour à tour poétique et irrévérencieuse. Le roman fourmille de personnages excentriques, à commencer par Pierre Bayard lui-même, le jeune Minuit-Pile passionné de livres, ou encore Sarrasine Cabochon, chevalière d’un autre temps. Chaque protagoniste semble issu d’un rêve légèrement décalé, contribuant à bâtir une ambiance mutine et féerique où le rire n’est jamais bien loin.
Si l’on savoure cette fantaisie verbale et cette galerie de figures farfelues, la narration demande toutefois un réel effort de concentration. Clémentine Beauvais prend soin de rappeler qui est qui, ce qui permet aux nouveaux lecteurs de ne pas se sentir perdus, et rend possible la lecture hors ordre de la série. Mais cette profusion a un prix : les innombrables noms inventifs, les animaux parlants et les allers-retours entre différents personnages peuvent ralentir la progression. L’intrigue met près de quatre-vingt-dix pages à véritablement s’installer. Les fils narratifs entremêlés finissent néanmoins par converger dans une résolution ingénieuse. Le lecteur, ballotté entre mystère réel et énigme littéraire, doit accepter de se laisser porter par ce foisonnement, au risque de perdre un peu le fil, mais avec la promesse d’un dénouement aussi singulier qu’astucieux.
Une lecture exigeante mais ludique
Avec Enquête sur Peter Pan, Clémentine Beauvais s’attaque à l’un des grands textes fondateurs de la littérature jeunesse. Le roman se construit ainsi comme une mise en abyme : un livre qui enquête sur un autre livre, oscillant entre hommage et réinterprétation. La littérature devient terrain de jeu, espace où l’on peut plier la réalité, réinterroger ce que l’on croyait acquis, et proposer une lecture différente sans jamais trahir l’œuvre initiale. Pour donner de la crédibilité à sa démarche, l’autrice n’hésite pas à glisser en fin d’ouvrage quelques références réelles, comme autant de jalons qui ancrent son enquête fantaisiste dans un horizon concret.
Si l’écriture reste enjouée et inventive, la lecture demande un certain bagage. Le foisonnement de personnages, les références littéraires et la construction en abîme rendent l’ensemble plus accessible à des adolescents curieux ou à des adultes amateurs de littérature qu’à des lecteurs débutants. Les fidèles de Clémentine Beauvais y trouveront un prolongement naturel de son univers, mais l’exigence du texte pourra décourager les plus jeunes. L’ouvrage se distingue aussi par son esthétique : un bel objet-livre à la couverture rigide et colorée, enrichi de têtes de chapitres illustrées et d’un signet intégré. Enfin, l’expérience se prolonge au-delà des pages, avec une adresse web, proposée à la fin, invitant les lecteurs à poursuivre l’aventure grâce à des jeux et des méthodes d’enquête conçues par l’autrice elle-même. Un prolongement ludique et original, à l’image du projet.
En définitive, Pierre Bayard Détextive Privé – Enquête sur Peter Pan séduit par son inventivité et son humour malicieux, tout en rendant un bel hommage aux classiques de la littérature. Si son intrigue foisonnante et sa densité narrative exigent patience et concentration, le charme opère encore une fois grâce à la plume pétillante de Clémentine Beauvais et à son goût pour le jeu littéraire.
