Caractéristiques

- Titre : Je suis né du diable
- Auteur : Jean-Christophe Grangé
- Editeur : Albin Michel
- Collection : Recit Litteraire
- Date de sortie en librairies : 15 octobre 2025
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 336
- Prix : 21,90 €
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- Note : 8/10 par 1 critique
Voilà un roman qu’on n’attendait pas. À peine quelques mois après la parution de Sans Soleil, diptyque sorti en janvier dernier, Jean-Christophe Grangé revient déjà en librairie avec un ouvrage aussi bref qu’inattendu. L’auteur du Vol des cigognes et des Rivières pourpres, traduit dans une vingtaine de langues et plusieurs fois adapté au cinéma et à la télévision, délaisse cette fois le thriller pur pour s’aventurer sur un terrain plus intime, celui de l’autofiction. Mais que vaut ce face-à-face avec ses propres démons ? Ces souvenirs autobiographiques peuvent-ils se révéler aussi intenses, aussi vertigineux qu’une enquête haletante ?
Quand intime rime avec intense
« Ce livre est mon solde de tout compte », écrit Jean-Christophe Grangé. Une promesse forte, pour un récit qui s’annonce aussi personnel qu’implacable. Celui qui a bâti sa carrière sur des thrillers tentaculaires s’aventure ici sur un terrain d’une autre noirceur, celle de son histoire personnelle. L’idée du livre, raconte-t-il, lui serait venue d’un ami écrivain, Frédéric Beigbeder, à qui il avait confié la violence du couple parental. Ce dernier lui aurait lancé : « Mais tu tiens là un roman ! » Une évidence, finalement, pour Grangé, qui reconnaît avoir trouvé dans cette matière intime le socle même de ses obsessions narratives. Le résultat : un texte court, fiévreux, où la confession devient une véritable arme littéraire.
Le roman s’ouvre sur une scène qui pourrait provenir de n’importe lequel de ses thrillers : une femme est enlevée par un homme cagoulé, déterminé à l’enterrer vivante dans un cimetière. Mais, coup de théâtre : la victime, c’est sa mère, et le bourreau, son père. Ce basculement suffit à poser le ton. Je suis né du diable explore les ombres d’une enfance fracturée par un père effrayant, colérique, quasi démoniaque. Autour de cette figure centrale gravitent l’alcool, la manipulation, la folie et les secrets de famille. Mais loin de se contenter d’un réquisitoire, l’auteur relie ces fragments douloureux à sa propre formation intellectuelle – ses études, sa passion pour la musique, ses débuts hésitants dans la littérature. On comprend alors que ce roman, derrière sa crudité, est avant tout une enquête sur l’origine du mal. Celui qui l’habite depuis toujours et qu’il a sublimé dans ses thrillers.
La filiation comme matrice du mal
C’est au détour d’une dépression, à quarante-quatre ans, que Jean-Christophe Grangé décide de creuser sa propre histoire. Poussé par sa psychanalyste à revisiter les fondations de sa famille, il entame un voyage intérieur vertigineux. À travers les voix croisées de sa mère Michèle, de sa grand-mère Andrée et de lui-même, l’auteur exhume les non-dits d’une lignée abîmée. Une véritable malédiction familiale dont il fait la matière brute de son œuvre. Grangé parle à la première personne, sans détour, dans un style toujours tendu, précis. Élevé dans un milieu modeste mais cultivé, et marqué par une jeunesse sans insouciance, il s’interroge : d’où vient cette fascination pour la violence et les âmes torturées ? En répondant à cette question, il lève le voile sur ce qui irrigue depuis toujours ses thrillers, au risque de dévoiler quelques (rares) secrets d’intrigue de ses romans passés.
Ce récit de filiation se lit comme une enquête. Guidé par les souvenirs, les classeurs du divorce de sa mère et les silences familiaux, l’auteur reconstitue pièce après pièce le puzzle de son enfance et le lecteur, captivé, suit cette exploration intime comme un polar. L’écriture garde le rythme nerveux, les rebondissements et la tension propre à son univers torturé. Pourtant, Jean-Chritophe Grangé affirme ne pas avoir écrit ce livre comme une catharsis, mais comme un devoir d’écrivain, afin de transformer une histoire à fort potentiel en matériau littéraire. Je suis né du diable devient ainsi un thriller intérieur, addictif et impossible à lâcher.
De la confession à la gratitude
Moins spectaculaire mais tout aussi captivant, le roman troque l’effet choc contre la sincérité brute, avec une écriture toujours aussi incisive et élégante. Il s’adresse parfois directement à son lecteur, comme à un confident, adoptant par instants un ton ironique qui allège la gravité du propos. Les points de vue alternent, tous à la première personne, entre Jean-Christophe, sa mère Michèle et sa grand-mère Andrée. Ce dispositif polyphonique permet à chaque voix d’apporter sa vérité et sa douleur. D’ailleurs, l’auteur ne s’épargne pas : il se montre tantôt vaniteux, tantôt craintif, toujours introspectif. Il évoque sans détour ses maladresses de jeunesse, ses difficultés avec les femmes et son incapacité à la légèreté.
Dans certaines pages, le roman s’éclaire d’une émotion nouvelle. Derrière le portrait d’un père monstrueux, Grangé signe avant tout une déclaration d’amour à sa mère et à sa grand-mère, deux femmes admirables qui ont su, chacune à leur manière, sauver le petit garçon qu’il fut. En leur prêtant tour à tour la parole, l’auteur leur rend justice et tend une main reconnaissante à ces figures de courage et de résilience. Je suis né du diable devient alors une longue lettre de gratitude, un hommage à celles qui ont tenu bon face à la folie.
Avec Je suis né du diable, Jean-Christophe Grangé troque le meurtre fictif contre ses propres fantômes, et prouve qu’il n’a pas besoin d’artifices pour captiver. Entre thriller et confession intime et touchante, le roman se lit d’une traite et laisse derrière lui une empreinte durable : celle d’un écrivain qui, pour une fois, ne traque plus les monstres, mais essaye de regarder le sien en face.





