Caractéristiques
- Auteur : David B.
- Editeur : Soleil
- Collection : Noctambule
- Date de sortie en librairies : 20 novembre 2019
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 56
- Prix : 20,90€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 8/10 par 1 critique
Une BD onirique sur le surréalisme
Auteur de BD prolifique connu notamment pour son oeuvre L’Ascension du Haut Mal (1996-2003), David B. est de retour dans la très belle collection Noctambule des éditions Soleil (La croisade des innocents, Emma G. Wildford, Nobody…) avec un album rendant un hommage inspiré au surréalisme, Nick Carter et André Breton : Une enquête surréaliste.
L’auteur y explore, en une cinquantaine de planches et dans un format à l’italienne de toute beauté, le mystérieux concept d' »or du temps » auquel était tellement attaché le poète André Breton qu’il fit inscrire « Je recherche l’or du temps » en guise d’épitaphe sur sa tombe.
Bien sûr, une BD sur le surréalisme ne saurait être didactique, et c’est à une véritable plongée onirique au coeur de l’esprit du mouvement que nous convie David B. Le héros de feuilleton littéraire Nick Carter, créé à la fin du XIXe siècle par J.R. Coryell, dont les surréalistes s’étaient pris d’affection en même temps que Fantômas et Judex, sort donc de la page pour devenir un « véritable » détective privé ami d’André Breton, le fondateur du mouvement surréaliste.
Plongée au coeur du mouvement surréaliste
Lorsque l’histoire commence, en 1931, l’auteur de Nadja est au plus mal : il s’est fâché avec ses amis poètes Aragon, Eluard et Robert Desnos, qu’il a exclus du mouvement, il rencontre des problèmes financiers, et le Parti Communiste l’a rejeté. Persuadé qu’on lui a volé quelque chose qui expliquerait cette mauvaise passe, il charge Nick Carter de la retrouver.
Sans vraiment être sûr de quoi il retourne, Nick Carter va alors se mettre à la recherche de l’Or du Temps. Son enquête va le mener à retrouver et interroger ceux qui furent les proches et les principaux membres du mouvement surréaliste (Robert Desnos, Nadja, Paul Eluard, Aragon, René Crevel…), mais également des personnalités-phare comme Salvador Dali (peintre surréaliste… qui ne fit jamais partie du mouvement, mais « piqua » la femme d’Eluard, Gala), Georges Bataille ou Magritte. Très vite, on comprend que cette « enquête » est en réalité davantage une quête surréaliste, où, comme David B. le fait dire à Nick Carter, le rôle du détective est d’« accumuler du merveilleux ».
Et pour cause : c’est précisément cette quête du merveilleux qui explique l’attachement des surréalistes pour les oeuvres feuilletonesques telles que Nick Carter. En effet, ces histoires divertissantes, écrites à la va vite et souvent remplies de rebondissements excentriques pas forcément très crédibles, possédaient une spontanéité qui étaient chère aux surréalistes, qui pratiquaient avec assiduité l’écriture automatique et les cadavres exquis. La résolution de l’intrigue importait peu au final, seuls comptait pour Breton et ses amis les images poétiques qui se dégageaient de ces oeuvres et ce que David B. nomme avec justesse dans sa préface les « éclats de merveilleux » qui conservaient quelque chose de propre à l’enfance.
Une très belle réflexion sur la création
En ce sens, au-delà d’une histoire du mouvement surréaliste vue d’un point de vue onirique, Nick Carter et André Breton est aussi, en creux, une superbe réflexion sur la création, l’inspiration, l’intégrité artistique et le devenir des oeuvres à travers le temps. Car l’Or du Temps d’André Breton, tel que l’a analysé Michel Bounan à travers un court essai du même nom en 2015, est « ce qui demeure incorruptible et toujours identique à soi-même à travers l’écoulement du temps ». Ce n’est ainsi pas un hasard si l’ennemi mortel de Nick Carter, le Docteur Quartz, apparaît ici comme celui d’André Breton, qui semble lutter à travers l’album contre la disparition d’une époque déjà révolue.
Il y a quelque chose de très touchant à voir ces figures du passé renaître et défiler sous nos yeux, et notamment Nadja, la compagne de Breton à laquelle il dédia un roman éponyme sublime, qui sombra dans la folie et mourut seule et oubliée dans un asile durant la Seconde Guerre Mondale.
Nous courons tous après le temps, mais les écrivains, les artistes, cherchent souvent à exprimer à travers leurs oeuvres cette quête d’absolu qui nous anime tous, ou encore cette quête de beauté qui ne peut qu’être éphémère, comme l’exprime si bien la « beauté convulsive » formulée par Breton. Et, si l’oeuvre est réussie et qu’elle parvient à atteindre son public et à traverser le temps, cette chose fugace que Breton nommait l’or du temps, qui est constituée de sentiments et émotions impalpables, accède à une certaine « immortalité », en un sens, et l’artiste à travers elle. Pourtant, bien des auteurs ont connu une vie et un destin malheureux et ne connurent jamais la reconnaissance de leur vivant. On pense par exemple au poète portugais Fernando Pessoa, qui écrivit l’un des plus beaux poèmes sur le sujet que nous venons d’évoquer, « Bureau de Tabac », et qui se suicida à l’alcool en 1935.
Derrière chaque oeuvre se cache un élan vital, une lutte secrète contre l’oubli, et c’est parce-que David B. parvient si bien à le faire passer que ce très bel album nous touche bien au-delà de ce que pourrait faire une BD « biopic » plus traditionnelle. Cela est d’autant plus vrai que Nick Carter est un personnage de roman noir naïf et « pur », et qu’il insuffle un certain optimisme à la BD, malgré la présence d’une certaine mélancolie.
Des illustrations entre ombres et lumière
Et puis, que dire du dessin de David B., qui est un plaisir de chaque instant ? Ses tableaux d’un noir d’encre possèdent une réelle fantaisie et un onirisme mi-sombre mi-naïf qui aurait sans doute plu aux figures qu’il évoque à travers ces pages. Le contenu est bien sûr très symbolique et bourré de références culturelles et picturales qui pourrait se prêter à une longue analyse, mais l’on aurait tort de croire qu’il faut être équipé d’une encyclopédie sur le surréalisme pour pouvoir apprécier ces dessins.
Si le surréalisme met en évidence ce qui est inconscient, il convient de l’aborder, pas forcément d’un point de vue intellectuel, mais aussi et peut-être avant tout, intuitif, de la même manière que l’on apprécierait un morceau de musique ou un conte de fées. Nous ne savons pas toujours, dans un premier temps, ce qui nous émeut dans ces oeuvres, mais celles-ci touchent quelque chose de profond en nous et nous nous laissons volontiers bercer par elles.
De même, nous vous conseillons de vous laisser porter par les illustrations de David B. sans forcément chercher à tout analyser et, si le coeur vous en dit, de faire ensuite des recherches complémentaires sur le mouvement ou certaines de ses figures de proue pour en apprendre plus sur cette période importante pour la littérature, la poésie et l’art en général.
Quoi qu’il en soit, Nick Carter et André Breton de David B. fait partie de nos BD coups de coeur de 2019. Une évocation inspirée et touchante du mouvement surréaliste, qui a droit ici à une superbe édition à la couverture et au dos entièrement toilés qui en font également un très bel objet.