Caractéristiques
- Traducteur : Jean-Daniel Brèque
- Auteur : Raymond E. Feist
- Editeur : Bragelonne
- Collection : Bragelonne Stars
- Date de sortie en librairies : 16 août 2017
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 382
- Prix : 16,90€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 9/10 par 1 critique
Une référence de la fantasy contemporaine
Auteur à succès des Chroniques de Krondor, l’Américain Raymond E. Feist a également signé en 1988 un best-seller salué (à raison) comme l’un des classiques de la fantasy contemporaine : Faërie. Alors que l’oeuvre approche de son 30e anniversaire, Bragelonne (Everville, Wild Fell, Le Ferry…) réédite le roman dans une édition collector à couverture souple gravée reproduisant un effet cuir.
Faërie raconte l’histoire des Hastings, une famille américaine aisée (Paul, le mari, est romancier et scénariste à succès, sa fille Gabrielle une riche héritière et sa femme, Gloria, une ancienne actrice) emménageant dans une très vielle bâtisse de l’état de New-York après avoir quitté leur demeure californienne. La maison appartenait autrefois à un grand auteur passionné d’ésotérisme, qui aurait laissé sa collection et toutes ses archives en ces lieux, ce qui attire l’attention d’un chercheur spécialisé dans le folklore, ami de l’ancienne directrice de thèse de Paul. Au départ fâchée de se retrouver loin de sa Californie natale et de son cheval, la jeune Gabrielle, 16 ans, change d’avis lorsqu’elle rencontre Jack, un admirateur de son père. Mais des événements étranges ne tardent pas à survenir, mettant Gabrielle, mais aussi ses demi-frères, les jumeaux Sean et Patrick, en danger…
Un roman imprégné du folklore celtique
Le roman de Raymond E. Feist aborde la mythologie celtique sous l’angle de l’horreur et du suspense, à travers une écriture ciselée et immersive possédant une qualité cinématographique certaine ; à tel point que l’on regrette amèrement qu’aucune adaptation n’ait vu le jour entre la fin des années 80 et le début des années 90. L’esthétique des films fantastiques de cette époque se prêtait particulièrement bien à l’histoire de l’écrivain, mais sans doute Hollywood a-t-il estimé que l’intrigue était trop sombre et dérangeante…
En effet, Faërie ne s’intéresse pas tellement aux gentilles petites fées qui sont légion dans la culture populaire, mais aux êtres bien plus ambigus du folklore celtique. Pour rappel, la légende des fées se base sur l’éviction du paganisme par le christianisme. Les créatures connues sous le nom de faeries viennent du peuple mythique les Tuatha Dé Danann (la tribu de Dana), des divinités païennes aux nombreux pouvoirs qui régnèrent longtemps avant de devoir se draper dans l’invisibilité et descendre dans le monde souterrain, le Sidhe, lorsque de nouveaux envahisseurs, les Milésiens (les humains) sortirent vainqueurs de la bataille entre les deux peuples.
Les nombreuses légendes à leur sujet racontent que le vent souffle fort lorsque les Tuatha Dé Danann affrontent leurs ennemis, mais aussi qu’ils inspirent les poètes en jouant le rôle de muses, voire en offrant des dons artistiques aux humains entrant dans leurs faveurs. A l’inverse, ils sont également capable de ruse et mauvais tours, n’hésitant pas à kidnapper les enfants dans leur lit pour les remplacer par des doubles maléfiques, les changelings, entre autres méfaits. Par superstition, les Irlandais et peuples celtiques ont longtemps laissé un petit bol de lait à l’attention des fées, pour éviter leur colère ou s’attirer leur protection.
Entre émerveillement, suspense et horreur
Raymond E. Feist se penche ici sur les plus dangereuses des fées (qu’il appelle Daonie Sidhe, un autre de leurs noms gaéliques), celles appartenant à la cour maudite du terrible Amadán-na-Briona, monarque du Petit Peuple devenu maléfique et considéré comme le Fou. L’auteur s’appuie sur certaines références précises de la mythologie celtique pour appuyer l’intrigue, apportant même un brin de contexte historique par le biais de l’un des personnages pour faire ressortir le lien entre ces légendes et l’arrivée du christianisme. Cependant, que l’on ne s’y trompe pas : Faërie reste un roman de dark fantasy divertissant ne recherchant pas une exactitude parfaite – ce qui serait d’ailleurs assez compliqué étant donné la multiplicité des sources – même s’il est globalement assez cohérent avec le folklore celte.
La première partie de l’intrigue est fermement ancrée dans la réalité de cette ancienne bâtisse au milieu de la campagne américaine, et nous permet de faire connaissance avec les Hastings et le jeune Jack, qui tombera amoureux de la fille de Paul, la fougueuse Gabrielle. Feist amène peu à peu un sentiment d’inquiétante étrangeté assez subtil au départ, mais qui pousse le lecteur à se poser des questions sur le lien entre certains des protagonistes et le monde folklorique, présent à travers des références à un « pont des trolls » ou encore à une Chose Noire qui semble guetter la famille dans l’obscurité.
Si bien que lorsque les premiers événements réellement surnaturels surviennent, nous nous retrouvons happés avec une efficacité redoutable, le mystère ou l’émerveillement cédant facilement place à l’horreur, notamment en ce qui concerne les parties du récit vues du point de vue des jumeaux Sean et Patrick, 8 ans, davantage réceptifs, en raison de leur jeune âge et de leur gémellité, à tout ce qui échappe à la perception des adultes.
La fièvre dans le sang
En-dehors d’une excellente gestion du suspense et de passages de fantasy remarquables par leur imagerie et la finesse de leur description, Raymond E. Feist parvient également à troubler et déranger en apportant une dimension érotique et charnelle à Faërie, qui devient bien vite anxiogène. En effet, les fées ne sont pas simplement d’une beauté exceptionnelle, elles font aussi ressortir l’énergie sexuelle des sujets sur lesquels elle souhaitent avoir une emprise, en la portant à son point d’incandescence, quitte à les détruire. Le romancier excelle à retranscrire l’aspect angoissant du désir, en l’abordant à travers le personnage de Gabrielle, une adolescente de 16 ans donc, qui commence tout juste à apprivoiser le sien lorsqu’elle sera victime d’une créature du Petit Peuple.
De manière plus étonnante, ce roman fantastique offrait un traitement assez fin, en 1988, des conséquences du stress post-traumatique consécutif à une agression sexuelle, en explorant avec beaucoup de réalisme les sentiments de honte, culpabilité et dissociation ressentis par la victime et venant pervertir le désir qu’elle peut éprouver pour un petit-ami ou une connaissance. Cela n’est évidemment par le centre du livre, mais le développement de cette partie, psychologiquement très juste, laisse assez admiratif. Si Faërie possède des passages assez crus, pour ne pas dire sombres et dérangeants par moments, érotisme et violence sexuelle ne se confondent jamais et sont toujours narrativement justifiés. Employés à bon escient, les passages de « possession » apparaissent tout bonnement terrifiants.
Véritable page-turner, Faërie est au final bien plus qu’un simple best-seller de la littérature de genre, mais un classique de ces trente dernières années, où mythologie, suspense, horreur et érotisme font particulièrement bon ménage sous la plume inspirée de Raymond E. Feist. A redécouvrir !