Voici la 3e et dernière partie de notre entretien-fleuve avec Thibaud Villanova (retrouvez la partie 1 et la partie 2), auteur culinaire et fondateur de Gastronogeek, la collection de livres de cuisine inspirée des mondes de l’imaginaire chez Hachette Heroes. Il nous parle de la conception de ses deux dernières parutions : Le Geek Touristique et Assassin’s Creed : Le Codex Culinaire, publiés respectivement en octobre et novembre 2017, et que nous avons par ailleurs chroniqués… Le prochain livre de la série, consacré aux dessins animés, paraîtra en librairies en juin 2018 sur le même format que le Spécial Séries Cultes, avant un nouveau gros volume en fin d’année. On n’a pas fini de manger (littéralement) de la pop culture !
Culturellement Vôtre : A propos du Geek Touristique, comment s’est passée la sélection des adresses ? Vous avez conçu le livre avec Julien Laval et Thomas Olivri, c’est bien ça ?
Thibaud Villanova : Oui. Celui-là, spécifiquement, on l’a fait en même temps que Geek & Pastry et le spécial Séries cultes, donc je me suis aidé de Julien Laval, qui est un auteur dont le métier principal est l’animation traditionnelle, le dessin animé et la mise en scène, et j’ai travaillé avec Thomas Oliviri de Geek-Art. On a sélectionné plus 300 références de lieux qu’on connaissait. Pour l’étranger, on n’a pas forcément testé chaque adresse, donc parfois on est plus restés en surface, en mentionnant surtout que ça existait et en montrant comment c’est à l’intérieur. Il y a bien sûr certains lieux à l’étranger qu’on a visités. Par exemple, je suis dingue d’Harry Potter, donc pour Warner Studios, ce sont mes photos de vacances. On a voulu mettre en valeur les commerçants de la pop culture, les lieux de la pop culture à visiter ou des lieux tout simplement, comme le pont Bir-Hakeim pour Inception, certains lieux en Irlande pour Star Wars. On a sélectionné les différents lieux par rapport à l’affection qu’on avait pour eux, leur renommée, ou encore le fait qu’on les considère comme incontournables. On a essayé d’y aller nous-mêmes le plus possible, et quand ça n’était pas possible, on a regardé les critiques, on a contacté chaque adresse pour poser des questions…
Il y a des lieux comme Le dernier bar avant la fin du monde où on a pu écrire plus personnellement, puisque, pour ma part, j’y ai travaillé deux ans et que mes co-auteurs en ont été des clients réguliers. On a aussi voulu parler de La dimension fantastique dans le 10e arrondissement, qui est une librairie montée par un type formidable qui fait une super sélection d’ouvrages et se lance dans le métier de libraire. Dans le monde dans lequel on vit, je peux vous dire que c’est courageux… On a aussi parlé d’Album Comics boulevard Saint-Germain, de Pulp ou de Warp Zone, le Café Pixels à Marseille — tous ces lieux qui font rayonner la pop culture. Et c’est ça le Geek Touristique ! Il n’y a aucun lieu qu’on n’aime pas. On n’a pas mis de notation façon critique. C’est plutôt : « Si vous êtes à Angers, à Toulouse, Paris, Lyon ou Bordeaux, voilà ce qu’il y a pour vous ». On a aussi mis des petites astuces, comme un cahier des conventions dans lequel vous pouvez noter celles qui vous intéressent, on a agrémenté ça de quelques anniversaires importants pour la pop culture comme le Star Wars Day ou l’anniversaire de Peter Jackson… On a essayé d’insuffler un esprit fun à tout ça. C’est un guide non-exhaustif fait par des passionnés pour des passionnés.
Culturellement Vôtre : Et le 2 novembre sortira le Codex Culinaire Assassin’s Creed…
Thibaud Villanova : Oui, ce sera 40 recettes centrées autour de 10 personnages principaux et 10 lieux, 10 périodes historiques différentes, et donc 10 cultures qu’on peut illustrer en cuisine à travers 10 menus. C’était un sacré défi, qu’on a relevé en même temps qu’on faisait les autres livres.
Culturellement Vôtre : Et comment est partie l’idée pour celui-là ? Pourquoi cette licence plutôt qu’une autre ?
Thibaud Villanova : Alors, sans rien minimiser de ma volonté de travailler avec eux, je harcèle Antoine et Anne chez Hachette de présentations de projets : Zelda, Ghibli, Harry Potter et Assassin’s Creed, donc, parce-que j’y joue et que, surtout, ils sont français, Ubisoft. Du coup, je me suis dit : « Peut-être que ça facilitera les choses et qu’on pourra leur parler ». Et il se trouve que lorsque j’ai contacté Ubisoft pour ça, cela faisait quelques temps qu’ils suivaient Gastronogeek, et les responsables de la licence pensaient que ça serait vachement bien d’avoir un livre de cuisine Assassin’s Creed. On est donc rentrés en contact comme ça, et, une fois qu’ils m’ont confirmé qu’ils étaient intéressés, je les ai mis en lien avec mon éditeur. Notre volonté, c’était de dire qu’il s’agit d’une belle licence qui a 10 ans, qui est française et montréalaise, et à laquelle nous souhaitions rendre hommage. Surtout, il y avait matière à en tirer un livre de cuisine. Je peux vous dire que comme à chaque fois, j’ai joué aux jeux de fond en comble pour être sûr de ne rien manquer.
Evidemment, avant de me lancer dans ce projet, je ne me posais pas tellement la question de savoir ce que les personnages mangeaient lorsque je jouais. Là, quand je voyais de la nourriture, je faisais arrêt sur image et je repassais le passage au ralenti pour voir ce qu’il y avait dans la casserole. Dans le trailer de Blade Runner 2049, j’ai vu que Dave Bautista grignotait quelque chose durant son interrogatoire avec Ryan Gosling et moi, je me moque de savoir ce qu’ils disent, mon truc, c’est de me demander ce qu’il y avait dans la casserole. (rires) Du coup, Assassin’s Creed, ça s’est fait comme ça, assez facilement. Et là, on a bossé avec Nicolas Lobbestaël et Soizic Chomel de Varagnes, qui sont donc le photographe et la styliste du spécial séries cultes, et qui sont parfaitement tombés dans le trip.
Quand on a fait le menu pour Arno Victor Dorian, l’assassin qui évolue pendant la Révolution Française, je leur ai dit : « Il faut imaginer le Paris de cette époque ». Soizic m’a dit OK, je lui ai répondu qu’on shootait le lendemain matin et elle m’a dit : « Par contre vient à 10 heures et pas à 8, car il faut que je m’installe ». Je suis arrivé à 10h30 au studio, et ce n’était plus le studio que je connaissais, c’était carrément une rue de Paris ! Il y avait des roues de roulotte, des ballots de paille, des pavés ramassés dans le chantier en bas de la rue, etc. Tout ça pour qu’on prenne une photo de 30x30cm ! Elle avait recréé un décor — j’ai documenté ça et j’aurai le droit de le publier sur la page FB de Gastronogeek à la sortie du livre — juste pour ces photos. On n’a pas lésiné, ni sur les moyens, ni sur l’envie, et on a la chance qu’Ubisoft soit venu sur le shoot photo pour nous dire ce qu’on pouvait faire ou pas. Et ils étaient assez impressionnés par ce que Nicolas et Soizic avaient recréé en studio. Ils se sont dit : « Ces mecs-là sont beaucoup plus barrés que nous ». On verra ce que les gens en pensent, mais on a vraiment essayé d’amener Gastronogeek dans l’univers d’Assassin’s Creed.
Culturellement Vôtre : Du coup, avez-vous cherché à savoir comment les gens mangeaient et cuisinaient à cette période pour concevoir les recettes ?
Thibaud Villanova : Oui, tout à fait. Après, on cherche toujours comment, mais on ne fait jamais comme eux. Autrement, on ne pourrait pas faire certaines recettes si on n’a pas de poil à bois !
Bérengère Demoncy : Et puis à l’époque, on mangeait du cygne, mais ce n’est pas pour ça qu’on va en faire !
Thibaud Villanova : On s’est intéressés au process culturel. C’est-à-dire que par rapport aux mets orientaux, comme le houmous, ce sont des recettes à des milliers d’années de ce qui se faisait. En vrai, on peut améliorer la recette comme on veut, c’est du pois chiche pilé avec du tahiné, de l’huile d’olive… Là où on ne pouvait pas reproduire les techniques de cuisson de l’époque, on a respecté essentiellement les goûts et les aliments utilisés. La cuisine italienne par exemple, la grosse difficulté à faire le menu pour Ezio Auditore, c’est qu’à l’époque de l’Italie de la Renaissance, la tomate, qui est l’ingrédient italien d’aujourd’hui par excellence, il n’y en avait pas en Italie, puisqu’elle n’est arrivée qu’en 1519. Donc j’aime autant vous dire que les lasagnes bolognaise, les pizzas, c’était niet ! Pareil pour la pomme de terre. On a donc dû se poser la question de comment faire à ce moment-là ?
Ma réflexion a été d’aller chercher du fromage déjà fabriqué à l’époque, des légumes qui étaient déjà cultivés… On a cherché une certaine véracité historique comme ça. Quand on a fait Ratonhnhakéton, le personnage d’origine amérindienne, Ubisoft a tenu à nous mettre en relation avec des spécialistes de la culture amérindienne, qui sont des Mohawks plus précisément… Ce sont des types qui sont dans une réserve à l’autre bout du monde et dont le métier est de préserver ce qu’on sait de leur culture. Je me suis donc dit que j’allais faire un menu comme ce qu’ils peuvent faire, et Ubisoft m’a demandé d’appeler ce monsieur qui est un spécialiste, en me disant : « Il te dira comment on faisait à l’époque ». On a aussi eu le contact d’un docteur à l’Institut du Monde Arabe…
On a été jusque-là pour s’assurer que tout soit juste car on est dans la démarche d’Ubisoft dans le développement de leurs jeux, qui est d’être extrêmement précis sur tout ce qui se déroule, le contexte historique, les communautés… Ils ont certes une démarche légale, mais aussi éthique, dans le sens où l’on essaie de parler correctement des gens qui ont existé puisque l’action d’Assassin’s Creed repose quand même énormément sur les coulisses des grands moments historiques qui ont façonné le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui. L’idée était donc de ne pas taper à côté, et cela faisait partie de nos contraintes. Le mot « contrainte » peut avoir une connotation négative pour plein de gens mais, d’un point de vue créatif, c’est quelque chose de génial. C’est un guide, ça nous permet d’aller dans un sens. C’est génial car c’est aussi l’objectif de Gastronogeek de respecter cette véracité-là.
Donc oui, en effet, ça a été compliqué, et avec la tribu de Mohawks notamment. A tel point qu’à un moment, je me suis dit : « Dans le jeu, ils chassent et ils mangent. Là, je ne vais pas faire un menu en inspiration, je vais faire ma recette ». Et en introduction de la recette, j’explique qu’à l’époque, les amérindiens cuisaient leurs aliments dans tel type de récipient. Les lecteurs utiliseront une cocotte en fonte, mais c’est une information qu’on donne, de même que j’indique la saveur qu’avait tel aliment à l’époque, ce qui explique pourquoi on l’assaisonne de telle manière car le légume qu’on achète aujourd’hui n’aura pas ce goût-là.
Personnellement, j’ai une manière de créer mes recettes et de réfléchir aux raisons de chaque ingrédient, de chaque chose dans Gastronogeek. On l’a appliqué à Star Wars, à Assassin’s Creed, et on l’appliquera à d’autres. Je pense qu’on a une bonne recette de fabrication. Ce qui est cool, c’est qu’elle n’est pas secrète, au sens où plein de gens font ce que je fais aujourd’hui, et assez facilement. La différence, c’est qu’avec Gastronogeek, j’ai su m’entourer de compétences, d’un esprit, et c’est ensemble qu’on fait ça. Tout seul, je ne serais pas capable de le faire.
Nous remercions chaleureusement Thibaud Villanova pour sa disponibilité et son amabilité, ainsi que Bérengère Demoncy pour sa participation et sa patience. Geek & Pastry, Le Geek Touristique et Assassin’s Creed : Le Codex Culinaire sont disponibles chez Hachette Heroes.