Caractéristiques
- Auteur : Alice Moine
- Editeur : Belfond
- Collection : Pointillés
- Date de sortie en librairies : 9 janvier 2020
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 112
- Prix : 17€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 6/10 par 1 critique
La blessure d’une mère
Troisième roman d’Alice Moine, Les fluides fait partie de la rentrée littéraire des éditions Belfond, au sein de la très belle collection Pointillés (Maintenant, comme avant, Jolis jolis monstres, Quand on parle de Lou). Ce récit intimiste nous raconte la manière dont une mère et sa fille de 7 ans vont renouer un lien lors d’une après-midi à la piscine.
Lorsque l’histoire commence, Julie apparaît comme une trentenaire plongée dans un profond désarroi : séparée depuis 3 ans du père de sa petite Charlotte dont elle n’a plus la garde, elle ne parvient pas à retrouver un emploi ni à sortir de la dépression. Si son ex n’a jamais compris ce qui lui était arrivé ni pourquoi elle a aussi brusquement changé, se refermant sur elle et prenant beaucoup de poids en peu de temps, le lecteur devine vite le secret de la jeune femme : le viol qui ne dit pas son nom jusqu’aux 3/4 du livre et qu’elle a tu à son entourage. Pas de grande révélation ici puisque l’auteure suggère ce traumatisme très tôt dans le roman, nous faisant comprendre par petites touches successives la manière dont beaucoup de choses dans le présent, à priori anodines, vont venir raviver cette blessure jamais cicatrisée lors de cette journée à la piscine.
Une histoire de résilience sous l’angle mère-enfant
Si le sujet des violences sexuelles et leurs répercussions est régulièrement traité — de manière centrale ou secondaire — à travers des oeuvres littéraires appartenant à des genres variés (Une fille modèle, Faërie, Arbre, pour les romans traités sur le site), Les fluides se distingue par son angle d’approche : celui des conséquences d’un tel traumatisme dans les rapports parent-enfant. Blessée dans son âme et dans sa chair, Julie est déconnectée d’elle-même et s’est aussi en quelque sorte “déconnectée” de sa fille, qui ne comprend pas le comportement de sa mère et subit l’influence de son père, qui ne cesse de rabaisser son ex. Elle a perdu confiance en elle et en ses capacités maternelles, mais cet après-midi à la piscine va tout changer et signer le début d’une renaissance.
Dans un style fluide, avec des mots simples, Alice Moine nous livre un récit touchant où la complicité entre Julie et Charlotte va réapparaître de la plus belle des manières. Alors que Julie a de plus en plus de mal à bloquer ces souvenirs qui ne cessent de remonter à la surface, sa petite Charlotte, si vive, la rappelle au présent, demande son attention. La jeune femme n’est pas tout à fait là, mais un événement banal va agir comme un déclic et lui permettre de se rapprocher de son enfant.
Comment surmonter un traumatisme et la honte de soi qu’il engendre ? Comment trouver les mots et parler de consentement à un jeune enfant ? Les fluides aborde ces thématiques de manière simple et juste. Sans grand discours ni rebondissement, Alice Moine nous montre comment la vie va reprendre le dessus et évoque de manière ô combien émouvante le lien fusionnel entre une mère et son enfant, ainsi que le rapport compliqué au corps de son héroïne.
Une petite maladresse au sein d’un récit touchant
Dommage que la catharsis finale, le moment où Julie, qui semblait auparavant passive et abattue, va s’affirmer, donne lieu à une “petite phrase” qui semble en contradiction avec la vision plutôt équilibrée que donnait l’auteure du rapport entre classes. En effet, dans le roman, Julie souffre de ne plus être en mesure de travailler à cause de son état (un syndrome post-traumatique, clairement) et des difficultés matérielles qu’elle rencontre alors que son ex, recasé, offre à sa fille une existence privilégiée qu’elle ne peut lui accorder. La manière dont la situation sociale peut jouer sur l’estime de soi et le rapport vis-à-vis du regard et du jugement de l’autre est traitée avec finesse, et l’auteure situe par ailleurs l’action dans une piscine parisienne où différentes classes sociales se mêlent. Et, juste avant le passage en question, Alice Moine décrit bien le mécanisme qui fait que des employés au salaire faible peuvent développer un certain ressentiment contre les usagers, quitte à avoir des réactions parfois disproportionnées.
Néanmoins, et même si le personnage en question (un employé de piscine chargé de l’entretien), à peine esquissé, est supposé être antipathique pour réveiller les instincts de louve protectrice de l’héroïne et lui permettre de s’affirmer, la phrase “Il n’a jamais aimé qu’on lui fasse la leçon, même quand il était petit, c’est d’ailleurs pour cette raison que, devenu adulte, le seul métier qu’on a bien voulu lui confier consiste à passer ce jet toute la journée” a du mal à passer et ruine les efforts de l’auteure en la matière. Oui, les “petits chefs” et employés qui abusent du peu de pouvoir qu’ils ont existent et ne sont pas rares, et il n’est écrit nulle part qu’un personnage “pauvre” ou occupant une fonction peu glamour soit censé être forcément gentil ou victime d’un sort cruel (la connerie est un concept universel), mais la tournure, pour le moins fort maladroite, contient autant de préjugés que ceux que l’auteure dénonce quelques lignes auparavant.
Pour autant, cela n’enlève rien aux qualités évidentes des Fluides, qui parvient à faire passer beaucoup de choses avec peu de mots. Lors de cette parenthèse où mère et fille vont se rapprocher, gestes et regards en disent plus que de longs discours — on ne sera donc pas étonnés d’apprendre qu’Alice Moine est réalisatrice et monteuse. Elle prépare d’ailleurs actuellement l’adaptation de ce troisième roman, que l’on espère aussi touchante que l’oeuvre originale.