Prends soin de maman de Shin Kyung-sook : critique du roman

prends-soin-de-maman1Au nom de la mère

Sonyŏ, une vieille femme coréenne de passage à Séoul avec son mari pour rendre visite à leurs enfants, se perd dans la gare et ne réapparaît pas. Ces derniers se lancent à la recherche de la
disparue tandis que leurs souvenirs rejaillissent, éclairant la place de leur mère dans leur vie.

Prends soin de maman est un roman fragile et délicat, à l’écriture étonnante, aussi fébrile qu’émouvante et qui captive de plus en plus le lecteur jusqu’à son puissant
dénouement. Récit familial dans ce qu’il peut avoir de plus intime, le roman de Shin Kyung-sook alterne les points de vue, nous donnant à ressentir le drame en nous plongeant
dans la tête des enfants de Sonyŏ, son mari… et enfin elle-même. A l’exception de cette dernière, tous disent “tu” pour dire “je”, d’où un ton certes un peu curieux au début mais qui a le don
d’interpeller et de faciliter l’identification aux personnages.

L’histoire est simple, le drame de cette famille qui perd leur mère presque absurde (point qui revient souvent dans le roman) et pourtant, les sentiments des protagonistes sont retranscrits avec
une grande subtilité par l’auteur et ne cessent de se complexifier de page en page. Ode à l’amour maternel, Prends soin de maman n’est cependant jamais un récit
dégoulinant de bons sentiments. Avant la disparition de Sonyŏ, ses enfants et son mari ne réalisent pas le pilier qu’elle était dans leur vie, l’influence qu’elle a eu sur chacun d’eux et la
culpabilité ne tarde pas à les rattraper.

Portrait croisé subtil et complexe

Tous les protagonistes sont complexes, contrastés, avec leurs bons côtés mais aussi leurs zones d’ombres, générosité et égoïsme sont présents chez eux, de sorte qu’il serait réducteur de parler
d’un mari et d’enfants indifférents et ingrats vis-à-vis de leur mère qui s’est saignée pour eux. Élevée en Corée à une époque où la pauvreté dominait, elle avait épousé son mari non par amour
mais par obligation et sera restée toute sa vie celle qui soudait sa famille en préparant avec amour de bons petits plats, en soutenant chacun dans leurs projets du mieux qu’elle pouvait, malgré
sa préférence manifeste pour un de ses fils.

Cependant, au fil du récit, des flashbacks apparaissent et, grâce à la multiplicité des points de vue, nous découvrons une femme qui n’était pas forcément entièrement la femme au foyer victimisée
que l’on aurait pu croire, une femme qui avait en elle une force insoupçonnée et avait une vie au-delà de son statut de simple mère, que ses enfants ne connaissaient pas forcément. Alors que
leurs recherches deviennent de plus en plus désespérées, les enfants de Sonyŏ se heurtent de plus en plus à un mur : qui était vraiment leur mère ? Pourquoi n’ont-ils jamais cherché à mieux la
connaître ?

Sensations et onirisme

La maladie de la mère, caractérisée par des migraines, des absences et des pertes de mémoire, intervient en outre assez vite, rendant les recherches plus urgentes. Connu de la plupart des membres
de la famille mais plus ou moins ignoré, cet élément pèse sur leur conscience. Les tensions entre frères et soeur se font également jour, les ramenant à leur enfance. Tous ces passages, très
réalistes, participent à la complexité du roman, peu fourni en action ou rebondissements à proprement parler, mais riche en sentiments, paradoxes… et sensations.

En effet, l’écriture de Shin Kyung-sook nous transporte avec une aisance remarquable aux côtés des personnages, que ce soit dans le présent ou lors des flashbacks. Les petites
manies et tics émotionnels de chacun, entre autres, nous permettent de nous mettre dans leur peau comme c’est assez rarement le cas, et lorsque Sonyŏ fait la cuisine, prépare du kimchi ou du
soja, on croirait presque nous trouver dans la cuisine avec elle et humer les odeurs.

Je ne révélerai évidemment pas la fin, mais les deux derniers chapitres sont puissants et brillent par leur poésie, pour ne pas dire leur onirisme, qui tranche un peu avec le reste du roman tout
en étant des plus cohérents. Je ne m’attendais pas forcément à ce parti pris ni à ce dénouement, mais celui-ci m’a profondément touchée et m’a emportée au point de tourner avec fébrilité chaque
page jusqu’à la dernière. Cela élève également le roman (déjà plus qu’excellent) au rang de livre singulier, unique en son genre. Belle ode à l’amour maternel mais aussi à la nature ambigue et
paradoxale des rapports parents-enfants et mari et femme, Prends soin de maman prouve qu’il n’y a pas qu’une seule façon de traiter le sujet. Un livre à conseiller, non
pas uniquement aux amateurs de romans familiaux, mais à tous ceux qui aiment les récits subtils nourris de sentiments aussi riches que complexes.

Je remercie les éditions XO et le forum Accros
& Mordus de lecture
pour m’avoir permis de découvrir ce roman dans le cadre d’un partenariat littéraire.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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