Les différents courants
Comme nous l’avons dit dans la première partie de notre dossier, le healthy est aussi bien représenté par les vegan, végétariens, paléo et omnivores, sans compter quelques mouvements plus atypiques généralement porté par des personnalités empruntant à différents courants et prônant par exemple une approche anti-gluten en plus d’un autre régime spécifique. Parmi ces multiples dénominations et conseils nutritionnels, il est facile de s’y perdre. Voici donc un petit résumé de chacun de ces grands termes.
Régime végétarien : on ne mange en principe ni viande ni poisson, même si de nombreuses personnes se disant végétariennes mangent en réalité du poisson et se privent simplement de viandes au nom du bien-être animal. Le végétarisme a existé de tout temps, même si certains auteurs ont parfois donné lieu à des vagues de “conversion”, comme Jonathan Safran Foer avec son manifeste Faut-il manger les animaux ? paru en 2009, et qui a durablement marqué les esprits.
Régime vegan : aussi dit régime “végétalien” lorsqu’il ne s’accompagne pas d’un mode de vie plus large, il s’agit du plus restrictif puisqu’on ne mange aucun produit d’origine animale, donc ni viande, ni poisson, ni oeufs, ni produits laitiers, ni même de miel ! Les personnes suivant ce régime alimentaire — considéré comme une véritable philosophie de vie, et même comme une religion au Canada — consomment donc beaucoup de substituts végétaux (tofu, lentilles, légumineuses, quinoa, laits végétaux…) et prennent souvent des compléments pour pallier certaines carences. Si les chemins menant au mode de vie vegan sont variés, la raison numéro 1 est le respect de la vie animale et le désir d’être en accord avec la nature, et donc éco-responsable.
Régime paléo : on privilégie la viande, le poisson, les fruits et légumes, les légumes secs ainsi que les oeufs et produits laitiers, tout en évitant les graines, féculents et tout produit raffiné comme le sucre ou les farines non-végétales. L’argument principal des paléo est que notre organisme est resté le même que celui des chasseurs-cueilleurs de l’époque du paléolithique et n’a pas eu le temps de s’adapter depuis la révolution agricole, d’où nos nombreux maux actuels, notamment en ce qui concerne la fatigue et la digestion. Donc, on s’efforce de manger comme un homme quasi-préhistorique, même si, dans les faits, les paléo adorent les huiles et laits végétaux, comme le lait et la farine de coco !
Omnivore : ce terme demande-t-il seulement une explication ? On mange de tout, sans se priver.
Les visages de la tendance healthy
Difficile ici de rendre compte de toutes les personnalités se réclamant de cette tendance très profitable : blogueurs, Instagrammeuses, stars, nutritionnistes, chefs se multiplient et sont toujours plus nombreux à sortir des livres pour nous encourager à mieux manger, recettes et conseils à l’appui. Même Maïtena Biraben s’y est mise l’an dernier, avec Légumes : ils vont vous surprendre. Il y en a vraiment pour tous les goûts, et surtout tous les publics, de tous les âges. Nous nous concentrerons ici sur les auteurs que nous avons déjà chroniqués et une poignée d’autres parmi les plus connus et influents du moment.
Les omnivores
Commençons par les ominivores, donc. Nous parlions dans notre précédent article de l’influence de la Californie sur la tendance healthy. Un exemple d’auteure californienne pur jus est l’actrice Gwyneth Paltrow, qui propose dans ses trois (bons) livres de cuisine beaucoup de recettes à base de légumes et toute une batterie de ces spécialités adorées des fashionistas et Instagrammeuses : avocado toast, chia puddings, bowls, sans compter de nombreuses recettes de fusion food inspirées de la cuisine coréenne et japonaise.
Si elle est souvent moquée pour les opinions quelque peu particulières mises en avant sur le site qu’elle a créé, GOOP, notamment en matière de beauté (piqûres d’abeilles pour la peau, douches de vapeur vaginales…), la star hollywoodienne est loin d’être aussi farfelue en ce qui concerne les fourneaux. Même si elle avoue avoir, par le passé, avoir adopté des régimes controversés et peu bénéfiques comme la macrobiotique, elle ne prône aucun discours “sectaire” et n’est ni vegan, ni végétarienne, ni anti-lactose ou gluten. Si elle a fait le choix personnel de ne pas consommer du tout de viandes rouges, elle mange en réalité de tout le reste avec modération, même si elle limite sa consommation de produits laitiers. Ce qui ne l’empêche pas de proposer certaines recettes vegan ou sans gluten (par ailleurs excellentes, comme des brownies ou muffins) pour les personnes suivant ces régimes alimentaires. Parmi toutes les approches à la mode que l’on peut trouver, la sienne est en réalité plutôt saine et gourmande, même s’il ne faut pas hésiter à augmenter les doses indiquées pour les recettes de certains plats, comme les soupes.
De même, dans cette veine californienne, Zoé Armbruster, auteure et styliste culinaire expatriée à San Francisco et auteure entre autres de Cuisine détox Super Facile, est un bon exemple : les recettes de son livre sont vegan, mais nourrissantes, gourmandes, colorées et équilibrées, avec une belle variété. Parmi ses idées de brunch et petit-déjeuner, c’est bien simple, on a envie de tout manger, et on n’hésiterait pas à sauter dans le wagon des smoothie bowls, chia puddings, avocado toasts and co ! Les conseils nutritionnels sont nombreux, et elle met en avant avec simplicité les bienfaits des différents “superaliments” qu’elle utilise dans ses recettes. Pas la moindre trace de ton moralisateur : le but est de se faire du bien tout en se faisant plaisir, et, comme le nom de l’ouvrage l’indique, “détox” ne signifie pas qu’on est censés manger vegan tout au long de l’année. On peut ainsi piocher ce qui nous fait envie, en adaptant certaines idées au besoin.
Parmi les livres-phares publiés cette année, on trouve également l’Américaine Tess Ward, auteure de pur chez Hachette Cuisine. Si le titre du livre fait un peu peur de prime abord et peut rappeler les excès de certaines jeunes femme sur le Web, qui ne consomment que des aliments blancs (donc “purs”), il n’y a chez cette auteure pas la moindre trace de phobie alimentaire, bien au contraire ! Elle a en réalité conçu son approche sur un “Programme Ultra Rééquilibrant” (PUR) qui n’a rien de dogmatique, contrairement à ce que le nom pourrait suggérer, puisqu’il ne s’agit pas d’adopter un régime à proprement parler, mais là encore de piocher des idées pour rééquilibrer son alimentation sur le long terme.
Au-delà du marketing promettant une “nouvelle approche”, on trouve des recettes gourmandes et variées, légères ou plus consistantes, et n’évitant aucun groupe d’aliments : boulettes de porc à la mélasse et au gingembre, haddock fumé au lait de coco, carpaccio de boeuf aux câpres et à la roquette, salade de nouilles soba au concombre et à la mangue, crêpes sans gluten à la ciboulette… Là encore, il y en a pour tous les goûts, avec des recettes basées sur des produits frais, non transformés, et faisant preuve d’un certain sens de l’épure : pas de sucres raffinés ni de graisse en surplus, tout est appétissant mais équilibré. On apprécie tout particulièrement le fait que l’auteure ne fasse pas l’impasse sur la viande rouge, de plus en plus diabolisée ces jours-ci, mais qui n’a rien de mauvais pour la santé si elle est bien choisie et consommée à raison de deux fois par semaine maximum.
Enfin, last but not least dans la catégorie omnivore, le chef anglais Jamie Oliver est sans conteste notre chouchou. Non content de proposer à ses lecteurs des recettes divines, qu’il s’attaque à la cuisine anglaise, américaine, italienne ou encore à la fusion food, il ne rechigne jamais devant un filet de boeuf ou une bonne omelette aux saucisses, tout en étant par ailleurs très engagé dans le fait de promouvoir une alimentation plus saine et équilibrée — notamment dans les cantines — basée sur des produits frais, de saison, et issus d’une agriculture bio et locale lorsque cela est possible. Après avoir publié un livre spécial Comfort Food en 2016, il s’est attaqué l’an dernier à la tendance healthy avec tout le talent de pédagogue qu’on lui connaît. SuperFood se présente ainsi comme une invitation à se faire du bien en mangeant, sans jamais oublier de se faire plaisir, avec une grosse partie d’explications nutritionnelles en fin d’ouvrage, où il met à mal les mythes défendus par certaines “écoles” à la mode (paléo inclus, même s’il ne les nomme pas), comme nous le verrons dans notre dernière partie.
La grande force du livre, en dehors de ses recettes à se damner n’évitant aucun groupe alimentaire (vive la viande, le poisson, les oeufs, produits laitiers, ainsi que le fromage et les produits végétaux !) est de déculpabiliser le lecteur, soumis à tout un tas d’impératifs contradictoires de nos jours, et ne sachant pas où donner de la tête. Que l’on soit omnivore, végétarien ou vegan, l’assiette ne doit pas devenir l’objet de peurs ni d’objectifs irréalistes, et il est possible de mieux manger sans se ruiner, et surtout sans être nutritionniste. Un discours, clair et rassurant, où chaque recette est accompagnée d’un tableau indiquant le nombre de calories, mais aussi la dose de graisse, sel, protéines, fibres…
Les personnalités paléo et similaires
Un cran ou deux plus restrictive, on trouve ensuite le courant paléo, qui regroupe des personnalités se désignant comme telles, mais aussi d’autres en adoptant les préceptes sans nécessairement en revendiquer l’argument scientifique très contestable (et largement invalidé) selon lequel notre organisme n’aurait pas évolué depuis l’ère du paléolithique, raison pour laquelle il nous faudrait manger comme des chasseurs-cueilleurs, c’est-à-dire principalement de la viande, du poisson, des oeufs, produits laitiers, fruits, légumes, ou encore des noix, tout en évitant les farines, graines, céréales, ainsi que tout produit raffiné, que nous ne serions pas en mesure de digérer. Si le concept est assez farfelu, on peut au moins lui reconnaître un avantage, si on se contente de piocher dedans : celui de dédiaboliser la viande, les oeufs et les graisses non hydrogénées, qui ne sont plus vues comme étant “l’ennemi”. En ce sens, le livre de Jonas Lundgren, La cuisine paléo des chasseurs-cueilleurs est assez sympathique puisqu’il se présente davantage comme une invitation à revenir à des produits frais et non transformés, de saison, à travers des recettes équilibrées et protéinées utilisant régulièrement des ingrédients non disponibles pour les hommes des cavernes, comme lait de coco ou du beurre d’amande.
Parmi ceux et celles qui sont en grande partie paléo sans se revendiquer du mouvement, on trouve ensuite Amelia Freer, et les soeurs Hemsley (de la société Hemsley + Hemsley), toutes trois anglaises. Freer est une ancienne assistante du Prince de Galles, dont le mode de vie n’était pas très sain : tout le temps stressée et fatiguée, elle consommait beaucoup de sucre, et notamment du thé au lait sucré, comme beaucoup de Britanniques. Après une remise en cause drastique, elle décide de se former en tant que nutritionniste et renie le sucre et le gluten, en s’appuyant sur sa propre expérience, ainsi que sur certaines études scientifiques. Même si elle apprécie les paléo, elle a le bon goût de ne pas adopter leur argumentaire pseudo-scientifique et évite surtout tout ton moralisateur et sait se montrer pédagogue avec les lecteurs de son livre Manger. Se nourrir. Rayonner, paru en France chez Marabout. Ceci dit, on sent parfois que, d’un point de vue personnel, elle frôle la phobie du sucre (même sous ses formes naturelles), ce qui donne lieu à quelques phrases prêtant à hausser des sourcils dans son ouvrage. Nutritionniste du chanteur Sam Smith, elle représente malgré tout une voix mesurée et équilibrée de cette tendance, non sectaire.
Jasmina et Melissa Hemsley posent davantage problème puisqu’elles refusent de manière stricte gluten, céréales et graines au motif de la bonne digestion, à l’exception du quinoa et du sarrasin, qu’elles qualifient de “pseudo-céréales”. La dimension paradoxale de leur approche, restrictive puisqu’elle dissocie de plus entièrement protéines et féculents — mais aussi tout ce qui contient de l’amidon, comme les haricots rouges et pommes de terre — se retrouve dans la présentation de leur philosophie sur leur site : “Nous croyons passionnément au fait de ramener l’alimentation à sa base tout en profitant des qualités nutritionnelles que nous pouvons obtenir de chaque délicieuse bouchée”. Malgré le terme tasty, les mots mis en avant sont basics et “qualités nutritionnelles”, qui précèdent donc la notion de plaisir. Tout n’est cependant pas à jeter chez elles, puisqu’elles ne rejettent pas la graisse et possèdent une alimentation assez variée, avec de la viande, des oeufs et du poisson.
Elles revendiquent une approche holistique (en gros : je suis ce que je mange) et sur le long terme, loin des “solutions à court terme, abondantes dans le domaine de la santé et du bien-être”. Néanmoins, elles ne sont pas nutritionnistes, contrairement à Amelia Freer, qui a un argumentaire proche, mais moins finalement bien moins restrictif et plus facilement applicable.
Les auteurs végétariens et vegan
Enfin, on ne compte plus les auteurs végétariens ou vegan. Nous nous sommes également intéressés à cette tendance chez Culturellement Vôtre, où nous avons chroniqué plusieurs ouvrages spécialisés, comme Toutes les nuances de green (privilégiant les légumes verts et une approche vegan) de Tanja Dusy, Plats végétariens pour débutants ou encore Cuisine végétarienne pour tout le monde. De manière générale, ces livres sont accessibles et réalistes dans leur approche au sens où ils ne réclament pas d’ingrédients introuvables ou particulièrement coûteux, et possèdent souvent une dimension gourmande, loin de l’image tristoune que l’on peut avoir de ces régimes alimentaires qui sont aussi des choix de vie.
Néanmoins, si l’on ne devait retenir qu’une personnalité parmi la mouvance vegan, il s’agirait de la blogueuse, Instagrammeuse et auteure culinaire Ella Woodward Mills, alias Deliciously Ella, dont la particularité est de ne pas revendiquer son régime comme une philosophie. Issue du milieu de la mode comme les soeurs Hemsley (elle était mannequin), l’Anglaise a changé sa manière de manger du tout au tout après avoir souffert durant des mois d’une maladie incompréhensible pour les médecins, et qui était en réalité une tachycardie posturale : elle ressentait de fortes palpitations en restant debout ou en se baissant, par exemple. Aucun médicament ne fonctionnait, et encore moins son alitement forcé, jusqu’à ce qu’elle se mette à cuisiner vegan. Si l’on peut ne pas être nécessairement d’accord avec cette solution dans l’absolu pour ce problème précis — l’auteure de cet article a également souffert, à un degré moins élevé, de tachycardie posturale, et n’a jamais eu besoin de supprimer viandes, oeufs et produits laitiers, malgré certaines journées veggie ou vegan; le fer et la caféine étaient davantage en cause — Ella Mills nous est particulièrement sympathique parce-qu’elle se garde bien de dire que sa solution est LA solution. Au contraire, dans son troisième livre, Deliciously Ella with Friends, elle encourage ses lecteurs à adapter ses recettes comme ils l’entendent, quitte à rajouter du poulet à ses fajitas vegan.
Aucune culpabilisation donc, et une approche gourmande et ludique qui donne véritablement envie de tester un maximum de recettes, même quand on est omnivore : ses gâteaux à plusieurs couches, au beurre de cacahuètes, chocolat ou noisettes sont parfois nappés d’une épaisse sauce au beurre végétal ses smoothies sont onctueux et ultra-nourrissants, et, de manière générale, chacune de ses recettes est aussi alléchante pour les yeux qu’au niveau des papilles. On a même réussi à faire adorer ses pancakes à la patate douce sans oeufs, farine ni lait à notre carnivore invétéré (et grand amateur de lait) de co-rédacteur en chef qui n’y a vu que du feu, c’est dire ! Que vous soyez veggie, vegan ou omnivore, si vous voulez intégrer certaines recettes végétales à votre alimentation, nous ne pouvons que vous recommander les quatre livres de Deliciously Ella — les deux premiers étant disponibles en français chez Marabout.
On citera aussi Jeanne B. et son livre Zéro allergène ou presque dans la catégorie des régimes restrictifs dûs à une intolérance alimentaire avérée : lait, gluten (maladie coéliaque), soja, amandes… Toutes ces allergies sont prises en compte au sein de recettes de qualité et faciles à réaliser.
Une fois ce panorama riche et varié établi, venons-en à la question qui fâche : la guerre du bien manger aura-t-elle lieu ? Réponse dans la dernière partie de notre dossier.