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[Critique] Zephyr, Alabama – Robert McCammon

Caractéristiques

  • Titre : Zephyr, Alabama
  • Traducteur : Stéphane Carn avec la participation d'Hélène Charrier
  • Auteur : Robert McCammon
  • Editeur : Monsieur Toussaint de l'Ouverture
  • Date de sortie en librairies : 17 mai 2024
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 610
  • Prix : 14,50 euros
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 10/10

Né en 1952 en Alabama, Robert McCammon est un auteur américain très apprécié des amateurs de littérature de genre mais relativement peu connu par le grand public en France. Après les 2 tomes du diptyque Swan Song (qui n’avaient jamais été traduits jusque-là en français), les éditions Monsieur Toussaint de l’Ouverture proposent la réédition de son roman Zephyr, Alabama, paru aux États-Unis en 1991.

Un roman de genre assez unique, raconté par un narrateur adulte, alter ego de fiction du romancier devenu écrivain et qui revient sur l’été de ses 13 ans dans une petite ville de l’Alabama, Zephyr, en compagnie de ses parents, son chien et ses amis. L’histoire raconte les aventures du héros, à mi-chemin entre inquiétante étrangeté, thriller, SF et fantastique découlant de la découverte du cadavre d’un homme tatoué, assassiné, dans une voiture emboutie par le père du héros et tombée dans le lac de la petite commune. Cet événement aussi tragique que mystérieux contamine dès lors le récit qui, raconté d’un bout à l’autre à hauteur d’enfant, en retranscrit le regard particulier.

Un roman initiatique à hauteur d’enfant

Enfant, on est prompt à s’inventer des histoires ou à voir quelque chose de fantastique là où le réel peut s’avérer trop sombre, froid et violent. Dès le départ, une aura mystique entoure le mort et son tatouage, comme l’image de la voiture engloutie au fond du lac, qui acquièrent une grande force de suggestion dont le père du héros lui-même, assailli de cauchemars morbides, se retrouve prisonnier. A l’inverse, la mort cruelle d’un camarade lors d’un banal accident de chasse dans les bois est rendue un peu plus douce par la croyance de ce dernier d’avoir aperçu un cerf blanc mythique – une version à laquelle le héros est tenté d’adhérer.

McCammon parvient à rendre compte avec beaucoup de force, de poésie, mais aussi d’humour et de tendresse, de cette période particulière de la pré-adolescence où l’on n’est plus vraiment un enfant, mais pas tout à fait un ado non plus et où l’on peut encore se raccrocher un tant soit peu à son imagination alors que la réalité commence à se montrer sous un autre jour, beaucoup plus complexe et parfois violent et cruel. Et ce d’autant plus que le narrateur écrit des nouvelles et veut devenir écrivain. Tout ce qu’il vit se change ainsi en histoire ou nouvelle potentielle et McCammon joue avec brio de cette dimension meta. Dans sa structure, Zephyr, Alabama comporte ainsi de multiples petites histoires (à la fin ouverte ou fermée) en marge de l’arc narratif principal, qui constituent comme autant d’épisodes de séries ou numéros de romans pulp ou de comics au sein de la vie du héros.

Quand le quotidien est transcendé par la force du mythe

La grande force de Zephyr, Alabama est de transcender, au sein d’un roman initiatique, cette partie de la vie entre enfance et adolescence en faisant véritablement des aventures de Cory Mackenson un récit mythique et héroïque, où le fantastique et les événements étranges ne sont pas le simple fait de l’imagination débordante d’un gamin – et ce même si, par moments bien sûr, le futur écrivain se fait véritablement des films, comme le passage aussi drôle que mémorable où il croit que le maire de Zephyr veut le tuer, très caractéristique de la manière dont l’imagination d’un gamin peut, dans un certain contexte, s’emballer à partir de certaines paroles ou réactions à priori anodines. Ici, Cory joue aux enquêteurs et fouille dans le bureau du maire lorsque celui-ci débarque à l’improviste et la scène est vraiment criante de vérité du point de vue de la psychologie d’un enfant particulièrement inventif.

Ainsi, si tous les événements ne trouveront pas une réponse au sein du roman (comme dans la vie, finalement), certains sont ouvertement fantastiques ou tiennent de la science-fiction, comme l’attaque d’un chien devenu monstrueux suite à la chute d’une météorite et, bien sûr, la résurrection du chien qui devient zombie car son jeune maître refuse de le laisser mourir même s’il le voit dépérir – un chapitre bouleversant autour du deuil d’un animal de compagnie qui laissera plus d’un lecteur en larmes.

Beaucoup d’autres jouent sur la magie et l’étrangeté qui peuvent survenir de petites choses du quotidien, qui pourraient peut-être avoir une explication logique ou rationnelle mais que, en l’absence de réponses, l’on peut parfaitement choisir de voir de manière plus poétique – ce qui ne leur donne qu’une plus grande force symbolique. D’ailleurs, dans certains cas, la vérité est-elle tellement importante ? Ainsi, Nemo, l’enfant surdoué au base ball atteint de bégaiement et surprotégé par sa mère, contraint de déménager et de quitter ses copains, veut-il tellement repousser les limites de son environnement fermé et s’échapper que la balle qu’il lance ne retombe véritablement jamais au sol, se perdant quelque part au fond du cosmos là où personne ne pourra jamais l’atteindre ou a-t-elle pu être déviée par un courant d’air ou le vol d’un oiseau comme l’un des amis en fait l’hypothèse ? Cette première image n’est-elle pas plus forte pour le narrateur et ses copains, qui se sentent attristés de ne pas pas pouvoir aider leur ami ? Et, dans le souvenir de Cory, qui nous le raconte une fois devenu adulte, cela ne permet-il pas de voir cet enfant malchanceux tel qu’il était véritablement et de donner davantage de force à ce geste de désespoir ? Et le fait de laisser croire à un autre ami, mourant, qu’il a véritablement vu un cerf mythique et que c’est cette vision qui l’a fait trébucher n’est-il pas préférable à celui de l’horrible banalité d’un accident de chasse provoqué par un simple trébuchement sur une racine ?

Dans d’autres cas, peu importe la manière dont certains indices viennent aux personnages – simples intuitions pouvant provenir de détails infimes échappant à la conscience mais qu’ils ressentent grâce à leur intelligence émotionnelle ou bien révélations transcendantales – le plus important est que ces intuitions les mènent jusqu’à la vérité. Et, si le récit de fiction de McCammon fonctionne particulièrement bien ici, c’est justement parce que, lorsque nous sommes enfants, nous sommes bien plus en lien avec notre intuition et notre intelligence émotionnelle, qui nous permettent de connaître et comprendre intuitivement des choses que nous ne comprenons pas encore pleinement par la raison – ou que les adultes tentent de nous cacher. Les meilleurs conteurs d’histoires sont ainsi ceux qui parviennent à puiser, avec le savoir-faire d’un écrivain adulte maîtrisant la narration et les techniques d’écriture, dans ce réservoir infini qu’est l’enfance et le regard sur le monde qui en découle, pour nous parler de sujets et thèmes sérieux pour ne pas dire parfois dramatiques.

Un récit sur l’enfance et la perte d’innocence d’une grande force émotionnelle

Quoi qu’il en soit, ici, comme dans les meilleurs contes et récits initiatiques fantastiques, le symbole et la parabole règnent en maîtres et apportent une grande force émotionnelle à la narration et à ces souvenirs d’enfance, où les ombres du monde des adultes transparaissent de manière de plus en plus tranchante. D’ailleurs, en découvrant Zephyr, Alabama aujourd’hui, on reconnaît l’influence de Robert McCammon sur Neil Gaiman, plus particulièrement sur son roman L’océan au bout du chemin, qui est également un livre très personnel (avec de nombreux éléments autobiographiques que Gaiman a transformés) où un narrateur, romancier adulte, retourne sur les traces de son enfance et revisite celle-ci autour d’un événement tragique assez similaire comme point de départ – et véridique, bien que Gaiman ait bien entendu inventé le reste, entre fantasy, mythe et folklore.

Enfin, il faut saluer l’hommage que Robert McCammon rend ici à la littérature et au cinéma de genre, dont il offre un joli panorama, revisitant chacun de ces sous-genres avec beaucoup d’habileté, et toujours à hauteur d’enfant : la science-fiction et l’horreur à mi-chemin entre The Thing et L’invasion des profanateurs de sépulture (l’épisode avec la chute de la météorite et le chien-extraterrestre dans la piscine), la littérature jeunesse, la littérature fantastique (un petit côté de Stand By Me de Stephen King, entre autres influences) ou encore le thriller post-Seconde Guerre Mondiale sur fond de traque de criminels de guerre nazis.

Si vous appréciez les romans initiatiques teintés de fantastique ou encore les livres de Stephen King et Neil Gaiman, Zephyr, Alabama est fait pour vous. Œuvre confidentielle chez nous mais majeure, ce livre n’a pas son pareil pour retranscrire à la fois la magie et les ombres du passage de l’enfance à l’adolescence, période où le réel dans toute sa tragique et cruelle ironie se fait de plus en plus jour alors qu’il faisait jusque-là figure d’élément fantastique au sein d’un quotidien ensoleillé fait de moments de complicité partagés entre amis. Drôle, tendre, palpitant, nostalgique et bouleversant, ce roman est de ceux dont les images et les mots restent longtemps en tête.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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