Caractéristiques
- Auteur : Andrew Downie
- Editeur : Solar
- Date de sortie en librairies : 31 août 2017
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 416
- Prix : 18,90€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 8/10 par 1 critique
La démocratie au bout du pied
Socrates, footballeur brésilien de génie. Voilà un nom qui évoque mille choses. La philosophie tout d’abord, car la prononciation est très proche du penseur de l’éthique, Socrate. Le grecque, devenu légendaire, est une source d’inspiration éternelle. Ainsi, quand le père de l’artiste du ballon rond, Raimundo Vieira de Oliveira, cherche à baptiser son fils, c’est vers le philosophe qu’il se dirige. Il avait vu clair, dans le destin de sa descendance. Car Socrates, presque six ans après sa mort, continue de hanter les esprits de tous ceux qui ont vu à l’œuvre ce milieu de terrain offensif, élancé, hyper doué balle au pied ou sur les bancs de l’école. Quelques mois après la sortie du bouquin dans sa langue originale, l’anglais, voilà que les éditions Solar (Coupe de France 1917-2017, OM : enquête sur le club qui rend fou) sort Docteur Socrates. Et l’ouvrage, signé par l’écossais Andrew Downie (envoyé spécial de Reuters au Brésil depuis des années), mérite bien un tel traitement.
Docteur Socrates s’ouvre sur une préface de son frère, qui n’est autre que Rai, un autre nom bien connu. Voilà quelques mots d’intérêt, qui pose de suite un contexte : une aura faite de respect entoure ce footballeur. Pourtant, on ne peut pas dire que Socrates fasse partie des joueurs dont l’aura marque les générations « d’après ». Et ce malgré une vie parfois décousue, un talent hors du commun, et un parcours qui démontre que le foot ne produit pas que des icônes décérébrées. Pourquoi une stature moins importante, quand on sort du carré finalement assez restreint des connaisseurs pointus de ce sport ? Ce livre n’apporte pas spécialement de réponse à cette question, mais il démontre de manière limpide qu’on a raison de la formuler.
Grâce à la plume agréablement précise d’Andrew Downie (et une traduction tout aussi remarquable), Docteur Socrates prend des airs de biographie, sans souffrir d’un côté « wikipediesque », danger qui rôde autour de ces exercices. C’est clairement l’un des chevaux de bataille de l’auteur, qui débute son premier chapitre par la défaite d’un Brésil pourtant ultra-charmeur, en quart de finale de la Coupe du Monde 1982 (3-2, contre l’Italie). On est placé de suite au plus près du joueur, mais aussi et surtout de l’homme, que l’on va apprendre à mieux connaître au fil des pages. De ses premiers amours, connus dans les bras d’une prostituée d’un quartier très chaud, à sa fin de vie malheureusement compliquée par de graves soucis d’alcool, le journaliste écossais réussit à capter nombre de sujets d’intérêt.
Joueur génial, homme engagé, et vie décousue
Docteur Socrates aborde évidemment l’engagement politique du footballeur. Car si le Brésil n’oubliera jamais ce joueur, c’est tout autant grâce à son jeu éclairé qu’à ses combats pour une l’instauration d’une démocratie, d’abord au sein de son club puis, par extension, à la tête de son pays. On se rend compte que son processus de politisation fut en fait assez long, et inhérent à la vie dans une grande ville. Socrates n’aurait pas été le même sans Sao Paulo, son foisonnement culturel, ses théâtres, ses galeries d’art (mais aussi ses discothèques, pour relâcher la pression). Si son père, homme aimé par ses fils, lui a apporté le goût de dénoncer les injustices, c’est sa soif de connaissances qui l’a mené à devenir une « tête ». Et, de là, s’engager dans un mouvement politique fort, ce fut une étape finalement inévitable et légitime, même si là aussi on est surpris par la tonalité du mouvement : la Démocratie corinthiane. Sans trop rentrer dans les détails (l’ouvrage s’en charge très bien), sachez que tout, chez cet homme, rapportait à la notion de responsabilité. Et ce même quand l’idéologie accouchait de résultat alarmants, pour les autorités. La révolution, oui, mais sans bavures, et sans provoquer des réactions parfois insensées (certains mouvements politiques français devraient s’en inspirer). De là à penser que le footballer et citoyen a joué un immense rôle dans le soulèvement démocratique de 1985, il n’y a qu’un pas…
Docteur Socrates, c’est évidemment un livre qui aborde des sujets sujets politiques. Le football étant un sport populaire, c’est indéniablement un sujet qui se doit d’être traité, et ce quel que soit le joueur ou l’équipe analysé. Cependant, et grâce à une certaine incapacité de l’homme à rester trop éloigné de son Brésil natal (il tenta l’aventure européenne à la Fiorentina, pendant une saison, avec de gros soucis d’adaptation), on en apprend aussi un peu plus sur le football brésilien. Des anecdotes parfois impressionnantes, comme celle de la première véritable peur ressentie par Socrates, lors d’un match. C’était alors qu’il jouait à Botafogo, et une bagarre sur le terrain avait provoqué des remous très violents dans les tribunes. Le livre est traversé de ce genre d’histoires, qui dessinent une histoire aussi vraie que passionnante. Signalons, enfin, une postface écrite par Johan Cruyff, autre génie récemment disparu, qui souligne les qualités humaines et footballistiques de ce joueur, que le grand public a tout à gagner à mieux connaître.