2017 aura définitivement été l’année Gastronogeek : après le lancement d’une chaîne YouTube officielle en début d’année et la parution fin mai d’un volume Spécial séries cultes dans un format plus léger, Thibaud Villanova est revenu à la rentrée avec Geek & Pastry, consacré exclusivement à la pâtisserie, mais aussi un Geek Touristique proposant plusieurs centaines d’adresses aux quatre coins du monde, allant des salons spécialisés aux restaurants ou lieux de tournage. Et, histoire de terminer l’année en beauté, le 2 novembre sortira le Codex Culinaire Assassin’s Creed, un livre de cuisine officiel, un an tout juste après la sortie de l’excellent Star Wars Cantina, qui lui avait permis de grossir les rangs de sa communauté.
Pour ceux qui l’ignoreraient, Gastronogeek est un concept de livres de cuisine publiés sur le label Hachette Heroes d’Hachette Pratique, et inspirés des cultures de l’imaginaire. Chaque tome propose de nombreuses recettes originales inspirées de Star Wars, Alien, Buffy, Doctor Who, et des dizaines de références d’oeuvres dites « geek » : films, séries, romans, comics, jeux vidéo… Si le principe a depuis fait des petits et donne lieu à de nombreuses publications chaque année, Thibaud Villanova a été le premier à adopter ce concept en France, en 2014, avec une exigence véritable qui plus est, et un beau travail éditorial dans le design de chaque ouvrage. Le succès du premier livre a permis la sortie du Livre des potions en 2015, suivi des volumes cités plus haut, mais aussi d’un mini-jeu de société, Apéro Quiz Geek, en 2016.
Plus que des recettes au design amusant, Thibaud Villanova travaille le fond et la forme, à travers des plats bons et équilibrés, en cohérence avec les oeuvres citées. En fins gastronomes et fervents défenseurs des cultures de l’imaginaire, cette approche ne pouvait que nous plaire, et rendez-vous fut pris début octobre pour échanger autour de Gastronogeek. Lorsque nous entrons dans le bar parisien où il a basé son QG avec son épouse Bérangère, qui est également la directrice artistique des livres de la collection, Thibaud Villanova est en pleine promotion de Geek & Pastry, sorti dix jours plus tôt, et attend de recevoir l’exemplaire du guide touristique tout juste sorti de l’imprimeur. Affable et passionné, il est revenu en détails pour nous sur son parcours, la naissance de Gastronogeek, l’essor de sa communauté, la conception des livres, la connotation péjorative du phénomène geek en France et bien plus.
A tel point que l’ensemble de l’entretien, étalé sur une bonne heure et demi, ne pouvait rentrer au sein d’un seul article, même gonflé à bloc. Plutôt que de tronquer à outrance ses propos, nous avons donc préféré diviser l’interview en trois parties. Nous vous proposons aujourd’hui la première, où Thibaud Villanova nous parle des débuts de Gastronogeek, de Geek & Pastry, de la diversité des références des livres de la collection, de l’association entre geeks et junk food, ou encore des difficultés à convaincre les licences de réaliser un livre officiel.
Culturellement Vôtre : Revenons tout d’abord sur le concept Gastronogeek. Le premier livre est sorti à la rentrée 2014. De livre en livre, le succès ne s’est jamais démenti, c’est quelque chose qui continue de se développer… Comment êtes-vous tombé dans la marmite de ce que l’on appelle aujourd’hui « l’univers geek », et comment avez-vous eu l’idée d’associer cuisine et pop culture ?
Thibaud Villanova : En ce qui concerne l’univers geek, j’ai bossé dans l’univers du jeu de société et des jeux vidéo pendant pas mal de temps. En dehors de ça, j’ai toujours baigné là-dedans. Aujourd’hui, être geek, c’est uniquement se positionner et se mettre derrière un drapeau ; fondamentalement, la pop culture, on la retrouve partout et cela a toujours été le cas en ce qui me concerne.
J’ai commencé à jouer aux jeux vidéo très jeune, sans parler des séries télévisées, des bouquins, beaucoup de bouquins comme on est de gros lecteurs chez moi, du coup c’est quelque chose qui ne m’a jamais vraiment quitté. J’ai bossé dans le jeu de société pendant longtemps, et j’ai aussi occupé un poste à responsabilité en événementiel, à la programmation culturelle puis en partenariat au sein du Dernier bar avant la fin du monde dès son lancement en 2012… Donc j’étais aussi geek côté professionnel, au-delà de ma passion à titre personnel.
Et en ce qui concerne la gastronomie, les métiers de bouche sont assez répandus dans ma famille : j’ai des cousins chefs cuisiniers, mon père est artisan boulanger depuis maintenant presque quarante ans… C’est donc quelque chose qui m’a accompagné au quotidien. Quant au concept Gastronogeek, j’ai joué à beaucoup de jeux de rôle et j’ai eu envie de créer des plats pour rester en immersion. J’ai fait beaucoup de soirées au Dernier bar et j’avais envie qu’on ait une carte qui colle à ces soirées-là. Et à un moment donné, je me suis dit, « Tiens, comme YouTube marche fort, pourquoi ne pas créer une émission de cuisine geek, façon La cuisine des Mousquetaires de Maïté, mais avec des sabres laser et des recettes ? ». L’idée de proposer une cuisine en immersion et pas uniquement en trompe-l’œil comme cela pouvait se faire avec les gâteaux décorés était importante. Le cake design, ensuite, c’est venu avec la pratique.
Le projet s’est fait super simplement, c’est une histoire de rencontres, d’opportunités. J’ai rencontré une personne qui m’a dit : « Ça ferait un super livre ». Elle m’a présenté à mon éditeur actuel, qui était du même avis, on a sorti le premier livre en essayant de mettre tout ce qu’on avait de passion, d’envies… Je travaillais déjà avec Bérangère sur la direction artistique et les illustrations, avec déjà cette grande exigence, que nous avons toujours maintenue, dans la conception des recettes. Ça a marché, on a vendu énormément, ce qui est malheureusement le seul critère mesurable en la matière, et j’ai eu envie de poursuivre. Tout émane de là, en fait. Si le premier livre n’avait pas marché, on aurait trouvé que c’était une belle aventure humaine, mais on se serait peut-être arrêtés là. Il se trouve que la communauté a pris tout de suite, la page s’est développée, les livres se sont faits, les idées ont afflué et mon envie de me développer en cuisine et d’apprendre davantage en la matière a grandi. Côté geek, ce n’est pas vraiment difficile pour moi, car c’était mon quotidien, ça l’est toujours et ça le sera encore.
Donc pour résumer, Gastronogeek, c’est autant une histoire d’opportunités que d’envie, et la question était aussi de trouver ma légitimité. Je ne suis pas chef de cuisine et je n’étais pas cuisinier, simplement cuisinier amateur. J’avais les bases pour faire les choses correctement et j’avais envie d’apprendre ça aux gens qui n’arrêtaient pas de me dire « Je ne sais pas cuisiner » ou « Les geeks, c’est chips, pizza, Coca, pourquoi tu t’emmerdes ? » en fait. Je prends souvent cet exemple-là et j’espère qu’un jour ça arrivera à ses oreilles parce-que je l’apprécie énormément, mais je dis toujours : Jean-François Piège il fait une eau de tomates niçoises en salade version trois étoiles et compagnie sur la simple évocation de la salade niçoise qu’il mangeait chez sa grand-mère. Pourquoi moi, quand je regarde Harry Potter et que je les vois manger, je n’aurais pas le droit de me dire : « Tiens, si je faisais une recette dérivée de ça ? Si je rendais hommage à cette oeuvre en créant un contenu que les fans comme moi pourront déguster et qui leur permettra d’être encore plus en immersion dans l’univers tout en mangeant mieux » ? Et c’est comme ça que nous avons développé Gastronogeek.
Culturellement Vôtre : Lorsqu’on parle de geeks aujourd’hui, c’est évidemment très large, mais, comme vous le disiez, on a souvent cette idée selon laquelle geek est synonyme de junk food. Vous parliez des personnes qui disent ne pas savoir cuisiner et ne sont pas en confiance mais, lorsqu’on se rend sur la page Facebook, on a l’impression que beaucoup de personnes qui n’achètent pas de livres de cuisine habituellement achètent les livres Gastronogeek, notamment parce-que ce sont de beaux objets, avec de belles photos, un joli lettrage, un beau design de manière générale. Avez-vous eu beaucoup de témoignages de personnes qui auraient davantage acheté les livres pour leur collection, mais qui au final se sont mis à cuisiner, à s’intéresser au sujet et à tester des recettes grâce à Gastronogeek ?
Thibaud Villanova : On a des témoignages depuis très peu de temps. Cela fait trois ans que nous avons cette activité, et la page Facebook, qui est mon organe principal de communication avec la communauté, a pris un virage avec la parution de Star Wars Cantina l’année dernière, qui l’a fait grossir d’un coup. Du coup, aujourd’hui je pense savoir qu’on possède plus Gastronogeek pour l’objet que pour cuisiner. Néanmoins, cela fait maintenant une grosse semaine qu’on a créé le groupe privé « Geek et gourmand, le groupe de la communauté Gastronogeek », destiné aux fans hardcore afin de leur permettre d’échanger des astuces. Cela me permet aussi de communiquer avec eux de manière plus directe, de leur donner du contenu et leur donner l’occasion de partager leur contenu. Là, on a fait un concours du plus beau Strudel de Queenie des Animaux Fantastiques, par exemple.
Ça fait à peine dix jours que j’ai créé le groupe et on est déjà 1000 membres ; ce sont toutes des personnes qui ont demandé à s’inscrire d’elles-mêmes. Et ces mille personnes, je peux vous le montrer de suite, mais vous n’imaginez pas le nombre de photos de plats publiées quotidiennement d’après les recettes Gastronogeek. J’en suis extrêmement heureux, je peux vous assurer que cela réchauffe énormément le cœur. (il sort son smartphone, se connecte au groupe et fait défiler les posts récents des membres, tous accompagnés de photos de gâteaux) Ça, c’est ce qui est posté sur ce groupe. Donc vous voyez, l’Auto-Destruction Biscuit de Doctor Who du Spécial séries cultes, la Pecan Pie True Blood de Geek & Pastry, l’Avocado Mousse de Scott Pilgrim dans Le livre des potions… Voilà, et tout ce que vous voyez là, c’est tout ce qui a été posté en seulement dix jours !
Donc moi, depuis dix jours, je sais que les gens cuisinent Gastronogeek, même si ça reste sans doute en une moins grande proportion que les gens qui ne font que le lire. Je pense aussi que la chaîne YouTube a eu un impact positif de ce côté-là : en une vingtaine de vidéos, on a montré que les recettes sont faciles à réaliser. On a fait le lancement presse de Geek & Pastry la semaine dernière, vous étiez là, et on avait fait certaines des recettes du livre à cette occasion. Du coup, les gens en ont mangé, ils se sont dit : « Ok, c’est geek mais c’est bon, c’est beau, ça ressemble à ce qu’on voit dans les séries ou les films et ils l’ont fait devant nous, et c’est facile à faire ». Et c’est justement ce qu’on essaie de montrer. Je pense que, de plus en plus, les gens vont le voir, ce qui va nous permettre de développer la page et nos ouvrages, mais aussi notre démarche, qui est justement de dire que tout le monde peut le faire.
La pâtisserie est un bon test de ce côté-là, pour voir ce que les gens aiment pâtisser. C’est marrant, parce-que généralement, ils ont toujours vu leurs parents et grands-parents faire une recette de gâteau au chocolat. Tout le monde sait faire quelques recettes, et ces personnes-là, qui prétendent ne pas savoir cuisiner, eh bien, ils cuisinent en fait ! Ils ne le savent peut-être pas, mais c’est le cas. Ils ne disent pas « J’ai cuisiné un plat », mais « J’ai fait un gâteau ». Du coup, ils prennent ce plaisir-là , et on peut plus facilement les encourager à faire un gâteau à la banane avec un beau glaçage, et ainsi de suite.
Et en effet, le côté geek en France, qui est souvent associé à la junk food, possède une connotation très différente de son développement aux Etats-Unis, ou même en Allemagne – ce mot vient quand même de la langue allemande, il faut le rappeler. A ce sujet, j’invite tout le monde à lire La revanche des geeks de Nicolas Beaujouan aux éditions Robert Laffon, sorti en 2013, et qui est autant un essai sociologique qu’un hommage à la pop culture, et qui explique très bien tout ça. En Amérique, geek, nerd, tout ça, c’est un peu la même chose. En France, on va considérer qu’un geek, c’est un fan d’informatique qui reste chez lui derrière son ordinateur sans interagir avec le monde extérieur et qui, de fait, pour ne jamais quitter son ordi, ne va manger que des chips et des trucs qu’il peut se faire livrer. Majoritairement, dans l’esprit des gens, on se fait livrer des burgers et des pizzas. Hop, vous avez une association d’idées ! Les geeks mangent des burgers et des pizzas.
Aujourd’hui, le problème ce n’est pas le geek, c’est tout le monde : tout le monde mange de la merde. Et on pourrait tous manger correctement si on faisait nous-mêmes à manger, sauf qu’on ne le fait pas. Ce n’est pas propre aux geeks. Après, le gros boutonneux à lunettes – j’en parle parce-que même si je n’ai plus lunettes et boutons, je conserve une forte stature – qui joue à la console et ne sort jamais de chez lui, il existe, ouais. Mais, est-ce que, parce-qu’il existe, il est obligé de se cantonner à ça ? Et est-ce que, parce-qu’on est fan des cultures de l’imaginaire – personnellement, j’utilise davantage le terme geek dans Gastronogeek parce-qu’il est sympas – on est forcément informaticien ? Bien sûr que non ! C’est avant tout être passionné par la pop culture japonaise et la pop culture tout court : par les comics américains, le cinéma fantastique, la science-fiction, le jeu vidéo, le high tech… Quand on parle de geeks, on définit une tranche qui est super vaste et indéfinissable par nature.
Aujourd’hui, j’aime bien les appeler « les adultes » même si j’ai 32 ans, mais mes parents, ne se considèrent pas geeks. Par contre, vous ne leur ferez pas rater un épisode de Game of Thrones ! Pareil pour Breaking Bad. Mon père va me dire : « T’as vu, ils passent la série Flash sur TF1 à 14h, on va regarder ça avec ta mère, c’est super sympas ». Ils ne se définissent pas comme geeks, mais ils « mangent » du geek, ils achètent des Blu-Ray et vont au ciné. Malheureusement, ils ne vont pas voir la fine fleur du cinéma français, non : ils vont voir de la pop culture.
Ils vont aller voir Blade Runner 2049 demain, par exemple. Et mon père est très fier de me dire : « Tu y étais toi, en 1977, à la sortie de Star Wars ? Moi, oui ». « Non, mais moi j’étais pas né ». « Oui, mais moi j’y étais, et Blade Runner en 1982, j’y étais aussi ». Et c’est de ça dont on parle. Mais il n’empêche que mon père ne se considère pas comme geek. En revanche, il adore mon bouquin ! Après, bien sûr, ça aide qu’il soit mon père et boulanger-pâtissier (rires), mais je pars du principe qu’il s’y retrouve.
Donc l’idée est vraiment là, en fait : créer un univers de livres qui donne envie de cuisiner, ou même d’aller vers la pop culture. Gastronogeek, l’image que j’ai voulu développer depuis le premier ouvrage, c’est un pont entre gastronomie et cultures de l’imaginaire ; et un pont, ça s’emprunte dans les deux sens. Les gens peuvent se dire, « Tiens, c’est quoi la philosophie de Gastronogeek sur les légumes frais, de saison, bio ? « , c’est aussi une manière de les intéresser à ces sujets. Les livres peuvent aussi leur permettre de découvrir certains univers dont ils n’avaient pas entendu parler. Et s’ils se disent : « Tiens, comment je fais pour trouver tel livre ou série, qui l’a créé ? », toutes les références sont en fin d’ouvrage. C’est aussi ça qu’on essaie de faire. Certes, ce sont des livres marketés, mais on est rares dans le milieu geek à autant chercher à associer le fond à la forme. Plus important que la couverture rose de mon bouquin, ce qui est important, c’est ce qu’il y a à l’intérieur. Ça peut paraître pompeux et prétentieux comme ça, mais on est dix à bosser dessus en moyenne, entre l’équipe d’Hachette, le photographe, la directrice artistique, moi… Çà nous prend une année, un livre comme ça. Et on est heureux de pouvoir dire très fièrement que ça ne se résume pas à des tartines de caca, quoi.
Je pense en tout cas que la pâtisserie va davantage encourager les gens à cuisiner. Et je pense aussi que la pâtisserie telle que nous l’envisageons, qui est une pâtisserie familiale et accessible, elle va faire qu’on peut encore plus comprendre, malgré le fait qu’on travaille du sucre et compagnie, qu’il est possible de manger mieux. Les gens sont également dans cette démarche-là, je pense. On a beaucoup de chance d’avoir décidé à surfer là-dessus au moment où les vagues de la cuisine et de la pop culture étaient très hautes. Aujourd’hui, on explore cette vague-là, et lorsque ça retombera, ce sera comme ça. Mais c’est ce qu’on fait aujourd’hui.
Culturellement Vôtre : Il y a un vrai équilibre dans les recettes, en tout cas. On est très loin de la junk food, il y a même des associations originales de saveurs de temps à autre, tout en restant simples, un petit ingrédient qui va faire toute la différence… Du coup, à mon sens, c’est quelque chose qui est au contraire très poussé, et qui ne joue pas uniquement sur la facilité de type : « Allez, Harry Potter marche bien en ce moment, donc on va faire un truc comme ça ». Que ce soit pour Geek & Pastry ou les volumes précédents, ce qui est appréciable à chaque fois c’est que, au-delà des œuvres récurrentes comme Harry Potter, Game of Thrones ou Doctor Who, il y a aussi de nouvelles références. Pour le dernier, c’est La rose de Versailles, par exemple, dont la présence m’a agréablement surprise.
Thibaud Villanova : C’est aussi ça. Il s’agit d’un manga qui remonte au début des années 70 (et qui donna lieu à une série animée à partir de 1979, Lady Oscar), mais pour moi c’est tout aussi fondateur de la culture otaku et de la pop culture nippone. De même, au Japon, Doreamon (le chat-robot du manga éponyme, ndlr) est un héros au même titre où, de notre côté, nous avons Tintin et Astérix. Donc, en effet, c’est moins connu du grand public, mais il en faut aussi. On essaie d’élargir les références. Pour ma part, je mets Harry Potter parce-que j’en suis dingue, et je mets quiconque au défi de me tester à ce sujet, car je fais vraiment partie de la clique Potterhead depuis des années, dès les premiers bouquins, et même en comptant les films, malgré tout ce qu’on peut leur reprocher.
Et pour le coup, il s’agit typiquement d’un univers gourmand, je rêverais de réaliser un livre de cuisine officiel comme j’ai pu faire avec Star Wars, et avec Assassin’s Creed qui sort en novembre. Harry Potter est inévitable quand on fait de la cuisine geek. Star Wars pareil, et Star Trek aussi. Mais on a aussi des références un peu moins connues du grand public. Firefly par exemple (la série de space-opera en 14 épisodes de Joss Whedon, annulée en 2002 et devenue culte, ndlr), un geek saura ce que c’est. Les non-initiés, eux, se demanderont ce que c’est et si ma recette leur donne envie de regarder un épisode sur Netflix, c’est super !
Dans le premier ouvrage, on avait mis La nuit des morts-vivants, qui, pour moi, est fondateur du zombie dans la pop culture. On avait ajouté Le mythe de Cthulhu également, parce-que si l’on parle de littérature fantastique, quiconque ne connaît pas Lovecraft a un gros manque en la matière. Il y avait aussi Retour vers le futur et Doctor Who; Doctor Who, aujourd’hui, c’est en pleine expansion en France. C’est une série que j’ai découverte enfant, dans les familles d’accueil en Angleterre durant mes voyages scolaires. J’aime autant vous dire que c’est une série qui existe depuis 1963, et c’est quand même la première série de science-fiction télévisée, même si on la découvre tout juste de notre côté.
Cela me permet de dire : « Regardez, vous commencez à vous y intéresser, mais il y a déjà 50 ans d’univers derrière ». Il y avait également Hellboy dans la catégorie Comics du premier livre, parce-que même s’il y avait Superman, qui est très cool, et Thor, qui nous permettait de faire de la cuisine scandinave, on voulait que le comics indé soit représenté. Et puis, Hellboy c’est Mike Mignola, et c’est fondateur de plein de choses. Je dis nous parce-que le choix des recettes, c’est Bérangère et moi. Même si le film de Guillermo Del Toro est sorti en 2004, l’oeuvre est moins connue du grand public dans sa partie graphique, et on voulait ce genre de références.
Le premier ouvrage faisait 144 pages et il a fallu faire des choix, le second en faisait 192, donc on a pu mettre plus de choses, celui-là en fait 160. On a changé un peu l’histoire puisqu’on a abandonné l’idée des menus; maintenant, c’est un concept, une référence. Ce qui signifie qu’on a vraiment 50 références, avec des œuvres très connues comme plus confidentielles et qu’on essaie de porter, parce-que la culture geek ne se limite pas à Harry Potter, Marvel ou Star Wars. On a pu faire un hommage au Voyage de Chihiro de Miyazaki à travers une pâtisserie. Et idem, je rêve de réaliser un livre de cuisine autour des films des studios Ghibli.
Culturellement Vôtre : Justement, lors de la soirée de lancement, vous me disiez que Ghibli n’avait pas accepté votre projet de livre…
Thibaud Villanova : Ce n’est pas qu’ils n’ont pas voulu, puisque, pour l’instant, nous – c’est-à-dire Hachette et moi – n’avons pas fait de mouvement. On a simplement laissé entendre que, et on nous a laissé entendre que non. Après, ce sont des questions de licences, et de discussions entre l’éditeur et la licence, ça ne me regarde pas. La seule chose que je peux faire, c’est envoyer un mail à Ghibli en disant, « Je suis auteur de livres de cuisine, j’estime faire un travail propre et j’ai envie de mettre mes compétences à votre service ». Et ce qu’on m’a répondu, c’est : « Non ».
En même temps, Star Wars aussi c’était non, au départ. Et puis un jour, un type chez Disney a entendu Hachette présenter le dossier en disant : « L’auteur est compétent et les livres marchent bien. S’il s’agit d’une inquiétude commerciale, il n’y en a pas, et si c’est sur le fond, rencontrez-le, faites-lui passer un bac de spécialité Star Wars et vous verrez qu’il aura le diplôme. » Généralement, les licences sont toujours très frileuses en matière de produits dérivés. Ce qui ne les empêche pas, avec toute l’affection que j’ai pour les références, de faire des tee-shirts pourris et des posters à la con, des mugs… Alors de ce côté-là, il n’y a pas de problème, mais pour faire de vrais beaux produits d’édition qui parlent aux fans, c’est beaucoup plus compliqué. Par exemple, Harry Potter, c’est un « non » ferme. L’éditeur des livres et J.K. Rowling s’y refusent. Ils nous ont fait comprendre que s’il y avait un jour un livre de cuisine, elle en serait l’auteur. Donc là, on sait que ce n’est pas la peine, ce qui ne m’empêche pas de présenter un nouveau dossier tous les ans. On ne sait jamais…
Culturellement Vôtre : Du coup, pour les différentes recettes, êtes-vous obligé de demander l’autorisation aux ayants droits de chaque licence ?
Thibaud Villanova : Non. En fait, on travaille sur le droit de citation en France. Je ne pourrais pas le faire partout dans le monde, mais on a davantage de liberté de ce côté-là chez nous. Dans tous les cas, je préviens généralement les ayants droits. Au moment de la sortie, je leur dis : « Au fait, on a fait ça ». C’est une démarche très honnête, très ouverte. Aujourd’hui, il y a tout un tas de règles. J’invite les gens qui liront cette interview à se renseigner très précisément. Je me repose sur un service juridique qui est celui du groupe Hachette, donc de pointe dans le domaine de l’édition. Et nous travaillons donc sur le droit de citation, les ayants droits sont crédités en fin d’ouvrage dans la section Copyrights; nous ne desservons pas leurs références en produisant un contenu qui ne serait pas qualitatif. Ça pourrait sembler subjectif ce que je vous dis, mais la critique comme les licences considèrent que nous faisons du bon travail. Il n’y a donc pas d’ouverture de discussions. Ça ne gêne pas les ayants droits d’Harry Potter de se rendre compte que sur 50 recettes, il y en a une ou deux Harry Potter, et pas 45 contre 5 d’autres licences.
Néanmoins, beaucoup des licenciés des références auxquelles nous rendons hommage nous contactent pour savoir s’ils peuvent utiliser notre matériel pour la promotion de leur produit. C’est un juste retour. On fait du mieux qu’on peut, et quand on fait Gastronogeek, qu’est-ce qu’il se passe dans l’esprit de quelqu’un qui voit une recette Harry Potter ? Pour moi, on dit : « Mangez Harry Potter« . Pour un marketeux, pour un juriste, tout ce que vous voulez chez les ayants droits, ce que nous faisons fait encore plus parler de leur référence. Cela sert donc tout le monde. On fait du livre, et on respecte la loi. Partant de là, il n’y a pas de problème. On n’a rien à demander à personne. En revanche, on aurait des problèmes si on ne respectait pas la loi, chose qu’on fait. En revanche, quand je veux faire un livre officiel, là il y a une discussion entre éditeurs, entre licences; une discussion financière, des accords à mener sur des programmes d’ouvrages auxquels je ne participe pas, sauf en qualité d’auteur quand on accepte mon dossier.
Et la raison pour laquelle on a pu faire Star Wars l’an dernier, c’est qu’Hachette et Disney ont un partenariat d’édition historique de 80 ans, Hachette Heroes développe du Star Wars et du Marvel depuis maintenant trois ans, du coup, cela rentrait dans le catalogue. Cela nous a offert un accès, et on en a profité pour présenter notre dossier. C’était la même chose pour Ubisoft : on leur a dit qu’on avait envie de le faire, ils se sont mis à table entre grandes personnes pour en discuter, et on est revenu vers moi en me disant, « Tu peux y aller ». On a vraiment une démarche honnête et ouverte sur ce point-là. On prévient tout le monde.
Culturellement Vôtre : Et puis, il y a une vraie cohérence entre les recettes proposées et les œuvres…
Thibaud Villanova : Oui, ensuite il y a deux types de recettes : les recettes références et les recettes clin d’œil. Par exemple, la Tarte aux myrtilles de Dame Séli, on la voit dans Kaamelott. Alors bien sûr, dans la série, elle est inbouffable et on en propose une version tout à fait mangeable, mais après tout, on ne nous dit pas comment elle fait sa tarte dans les épisodes…
C’est aussi ça qui nous protège vis-à-vis des ayants droits : on crée un contenu original, sans travestir leur contenu pour faire passer le nôtre. Quand je crée la tarte de Dame Séli, le seul emprunt, c’est celui du clin d’œil au personnage. Pour le reste, il s’agit d’une recette de tarte aux myrtilles avec de la crème d’amandes et de la lavande. Et jamais je n’écris : « Séli vous conseillerait d’utiliser… ». Je dis simplement : « Utilisez de la lavande ».
On essaie du coup aussi de proposer des recettes d’inspiration, comme pour La rose de Versailles, pour lequel on propose une recette de brioche traditionnelle et chocolat chaud, on s’est dit que ça pouvait être drôle à faire. Pour la Fire Ball de Fairy Tail, le héros mange du feu; donc on s’est dit qu’on allait faire un dessert enflammé. Après, la K-Pie, qui est l’apple pie qu’on a imaginé pour Men in Black, il y a tout un pan de Men in Black 3 où l’on parle de cette tarte aux pommes. On en a donc imaginé une version, en allant chercher des petits trucs en plus par rapport à la recette traditionnelle. Après, ce sont des recettes : on les a vues 500 fois, on les verra encore 1000 fois…
Aujourd’hui en tout cas, le groupe me permet de voir qu’énormément de personnes font les recettes de Gastronogeek en les modifiant allègrement, c’est le jeu, et on en est très heureux. Ca veut dire que l’osmose se fait.
Culturellement Vôtre : En parlant de variantes autour de recettes classiques, cela me fait penser à la recette de la cherry pie Twin Peaks dans le volume Spécial séries cultes. En grande fan de Lynch et de la série, j’étais bien entendu très curieuse de voir ce qu’il y avait dedans, et j’ai été agréablement surprise de voir qu’il y avait du café, ce qui permettait de faire le lien avec l’obsession de Dale Cooper pour cette boisson, mais aussi un peu de cacao. Pour le coup, ça se différencie vraiment des autres recettes que je pouvais connaître…
Thibaud Villanova : C’est assez marrant, parce-que nos détracteurs disent tout le temps : « Le mec s’est contenté de changer un ingrédient ». Ouais, mais ça suffit !
Culturellement Vôtre : Oui, et puis il y a aussi les doses qui entrent en ligne de compte…
Thibaud Villanova : Voilà. On m’interpelle parfois autour du pot-au-feu végétarien que j’ai proposé dans Star Wars Cantina. On m’a déjà dit : « En fait, t’as juste enlevé la viande, et t’as ajouté du miso, de la coriandre et de la citronnelle ». « OK. Donc, tu viens de définir la recette du pot-au-feu là ? Non. » (rires) C’est aussi simple que ça.
Ensuite, on essaie en effet de proposer un contenu qui soit référencé. Chaque recette possède un fil directeur. Twin Peaks, c’est la cherry pie et le café. Ma mère m’a toujours appris que si je voulais brunir une pâte au four pour la colorer un peu, je pouvais utiliser du café liquide dans un jaune d’œuf battu pour la dorure, donc je l’ai fait et c’est génial parce-que le lien se fait tout seul. Le personnage est fan de café mais, si je mets du café avec la cerise dans ma tarte, ça ne va pas le faire. Par contre, du Mon Chéri, on en mange.
Donc je vais enlever l’alcool, mais comme le chocolat est riche, ça marche. On va donc faire un confit de cerises en faisant réduire les fruits, on râpe du chocolat dessus juste pour l’avoir en séquence; on met un peu de café dans la dorure sans que ça change vraiment le goût de la pâte, mais ça va l’accompagner. Du coup, pour moi, on obtient vraiment le dessert idéal de Dale Cooper. On l’a montré à Kyle MacLachlan au Festival de Télévision de Monte Carlo. De jeunes journalistes l’ont rencontré et m’ont fait le plaisir de lui offrir le livre en lui montrant la cherry pie, il a trouvé ça fantastique. C’était vraiment le Graal pour nous !
On essaie de toujours twister le contenu, dans tous les cas. Honnêtement, aujourd’hui, je serais incapable de vous sortir de tête la recette de génoise que je donne dans Geek & Pastry. Il a bien fallu que je pose des doses à un moment donné, mais cela fait 20 ans que je fais ma génoise sans jamais peser quoi que ce soit parce-que je l’ai dans les doigts. La cuisine, c’est du partage, et c’est de la réappropriation. Bob Dylan dit toujours qu’une fois que ses chansons sont sorties, elles ne lui appartiennent plus. J’estime, à mon niveau et très humblement, avoir la même démarche. Les livres qui sont sortis, une fois qu’ils sont chez les gens, ils ne sont plus à moi. Et je pense qu’on arrive à faire des trucs plutôt cool comme ça.
To be continued… Entretien à suivre…
Retrouvez la seconde partie ici. Et la troisième et dernière ici.
Nous remercions chaleureusement Thibaud Villanova pour sa disponibilité et son amabilité, ainsi que Bérengère Demoncy pour sa patience. Geek & Pastry est disponible depuis le 20 septembre 2017 chez Hachette Heroes. Découvrez notre critique ici.